Où-Tu-Sais,
Scotland.
Chère Anna,
J'ai longuement hésité à t'envoyer cette lettre. Pour tout te dire, je suis restée devant mon parchemin, totalement immobile, pendant de longues heures. Pourquoi ? J'attendais. Quoi ? Le courage. Il me faisait défaut. Peut-être est-ce encore le cas. Je ne saurai te dire. Je n'en avais nul besoin avant, lorsque j'étais enfant... ou adulte d'ailleurs. Je ne vais pas te blâmer, loin de là. Qui pourrait en vouloir à une âme qui lui donne tout ce qu'elle possède ? Je n'ose imaginer quelle genre de personne cela est. Je parlais de courage tout à l'heure, cela est vite dit. Je ne suis pas là, en face de toi, pour te dire tous ces mots. Je ne suis pas là pour m'excuser de la souffrance que je vais te faire endurer. Et je préfère, sincèrement. Parce que si j'avais été devant toi, ton regard pétillant, ton sourire étincelant, je n'aurai pas été capable de faire tout ceci.
Tu dois être dans tout tes états. Je suis absolument navrée de te causer tous ces soucis, ces craintes, ces peurs. Si tu savais à quel point... Maintenant que je suis partie pour écrire mes confessions, je ne peux m'arrêter. Je n'en ai pas le droit. D'ici une heure ou deux, elle sera bouclée, prête à envoyer. A ce moment-là, j'hésiterai. Encore. Je pèserai le pour et le contre. Choisir entre la sincérité ou la douleur, la vérité ou le mensonge. Ma maint tremble. Est-ce de peur ou de peine ? Les deux ? A voir.
Je te prie de ne pas froisser cette lettre, pas avant que tu lises jusqu'au dernier mot. Nous avons besoin de survoler toutes ces choses, de les savoir, de les comprendre. Toutes les deux. Après, tu pourras en faire ce que tu veux. La laisser choir sur ta moquette bleue, la cacher dans l'un de tes tiroirs, la déchiqueter ou même la brûler. Je te laisse le choix du destin de ma dernière présence à tes côtés, je te dois au moins cela. Tu l'avais déjà compris n'est-ce pas ? J'en suis certaine. Tu as toujours été perspicace, c'est grâce à cette merveilleuse qualité que tu m'as remarqué. C'est comme cela que tout a commencé, n'est-ce pas ? Tes yeux noisettes s'étaient accrochés au mien. Tu m'avais vu, réellement, entièrement. T'en souviens-tu ?
Quel âge avions-nous déjà ? Six, sept ans ? C'est étrange, cette date aurait dû être la plus importante de ma vie, toutefois, j'en garde un souvenir particulièrement précis. Il y avait du soleil et une petite brise qui nous évitait de suffoquer, la chaleur était enivrante. Une effervescence animait le quartier, le beau temps je présume. Il y avait ces garçons exaspérants, Devan Deacon et Martin Bushby. Pratiquement intenables ces deux-là. Comme d'habitude, ils jouaient avec leur ballon vert et rouge, deux couleurs qui jurent selon moi. Passons. Ils ne cessaient de hurler et de lancer leur dangereux engin. Afin de garder la vie sauve, je m'étais réfugiée derrière la haie, une cachette de bas-étage, j'en conviens. C'est avec surprise que j'ai vu la balle me tomber dessus, mais c'est avec une réelle stupéfaction que je l'ai vue flotter à quelques centimètres de ma tête. Heureusement que personne ne m'a remarqué, comment expliquer aux voisins que j'étais, que je suis, une sorcière. Enfin, personne à par toi, bien entendu.
Tu n'as rien dit à personne, jamais. J'espère que cela restera toujours le cas. Tu m'as déjà demandé de décrire la réaction de ma mère face à cette découverte. J'ai tout fait pour ne rien te dire. Pas par crainte de représailles, pas du tout. Je n'aime pas dévoiler ce que je ne sais pas expliquer. Elle a pleuré Anna. Pas d'horreur, d'inquiétude ou de colère. Mais de joie. De toute évidence maman a toujours eu cette étrange manie d'aimer les choses... hors-du-commun va-t-on dire. J'aime croire qu'elle a dû me prendre pour son Peter Pan ou pour sa Tinker Bell. Par tous les Saints, j'espère que je n'ai pas le caractère de l'un de ces deux-là. Cela serait bien triste à assumer. Juste leurs magies ou leurs extraordinaires destins. Pour ce qui est de leurs notoriétés, tu n'es pas sans savoir que cela ne m'intéresse guère. Pourvu que mon existence reste marquée dans les esprits des personnes qui me sont chères. Rien d'autre importe.
En ce qui concerne ma mère, peux-tu me rendre un service ? J'ai bien conscience que je t'en demande trop, comme toujours Anna mais je ne peux me résoudre à la laisser dans l'ignorance. J'ai tant de remerciements à lui faire. Dis lui qu'aucune autre mère n'aurait été capable de me satisfaire autant qu'elle. Sa douceur, sa fantaisie, son acceptation, toutes les qualités qui font d'elle une femme exceptionnelle. Elle ne doit pas être triste pour moi, elle ne doit pas s'inquiéter pour ce qui pourrait m'arriver. Rappelle-lui qu'une nuit, alors qu'elle me consolait suite à un cauchemar où j'étais l'un de ces odieux pirates de Neverland, elle m'a dit que la seule façon pour que je sois un brigand découle d'un choix. L'un de
mes choix. Je ne serai pas une pirate et encore moins l'un des enfants perdus. Je ne me cacherai pas sous terre afin de leur échapper, tout comme je ne fuirai pas. Je n'ai pas honte de mes origines, même si elles doivent me compliquer les choses. Qui a dit que la vie était facile ?
Ma douce, encore une fois, nos chemins vont se séparer. Peut-être était-ce inscrit au creux d'un arbre ancestral, ou dans un livre à la couverture poussiéreuse. Me pardonneras-tu un jour de te laisser ainsi, avec pour seul réconfort cette chemise qui porte mon odeur ? Je ne clamerai pas ton amour pour moi, je ne me permettrai pas. Je ne peux parler que pour moi, de mes sentiments qui ne peuvent pas être plus sincères, de ces sensations que tu éveilles en moi. Rien que le souvenir de ton parfum, de tes cheveux me chatouillant le cou ou de tes lèvres sur les miennes me mettent dans un état terrible. Ce n'est pas pour autant que je vais revenir sur cette décision ô combien difficile. Elle a été sujette à une réflexion intensive, comme doit toute bonne ex-Ravenclaw. Avant que la lune explose suite à un chagrin trop grand, je me dois écrire l'un des plus beaux moments de cette éphémère vie.
C'était il y a deux ans, notre premier Noël ensemble. Ce petit appartement qui était nôtre suffisait amplement à nos besoins, il n'y avait peut-être que le sapin quelque peu imposant qui en doutait. Moi qui avait l'habitude de recevoir de nombreux cadeaux de la part de maman, pour tenter de me faire oublier l'inexistence de mon père, il n'y avait là qu'un petit paquet. Quelle importance ? Aucune. Je l'ai ouvert avec délicatesse, comme s'il était le plus beau présent que l'on m'ait jamais offert. Et ce fut le cas. Ma surprise a été immense lorsque j'ai pris en main le miroir d'ocre et d'argent. Est-ce mon haussement de sourcil qui t'a fait rire ? Je ne saurai jamais. Je me souviens mot pour mot de ton explication.
" Tu es la plus belle chose que Dieu m'ait permis de voir. Je suis incapable de le bénir suffisamment pour cela. Alors regarde-toi et dis moi ce que tu aperçois. '' Moi qui n'ai jamais été croyante, je n'ai pas relevé cette allusion à cet "homme", j'ai alors fait ce que tu me demandais avant tant d'inquiétude. Je me sentais si ridicule à me décrire : cheveux blonds, indisciplinés si je ne prends pas la peine de m'en occuper. Des yeux bleus clairs sur un visage à la peau blanche nacrée où un nez en trompette trône fièrement. Que pouvais-je dire d'autre ? Si ce n'est les larmes qui coulaient sur mon visage ? Tu m'observais avec tant d'amour que cela me pesait presque. A aucun moment je n'avais ressenti une telle impression d'abandon dans tes bras. Tu es ce que j'ai de plus précieux, c'est pour cela que je dois te préserver de toute la folie de mon monde.
Tout s'emballe. Je ne parle pas de mon cœur, bien que cela soit le cas. Tant de choses se sont passées Où-Tu-Sais, des rebellions dangereuses, meurtrières parfois. Des règles absurdes, injustes, des séparations qui semblent irréconciliables. Cette bâtisse où de longues années de ma vie se sont écoulées me parait presque étrangère. J'ignore comment nous en sommes arrivés là. La haine insatiable des hommes ? Une volonté de supériorité venant de nos plus profonds instants ? Des animaux sauvages, voilà ce que nous sommes. Aucune pitié, aucune envie de voir plus loin que le bout de notre nez. Cela me désole complètement. Les différences sont si faciles à condamner. Des normes, encore et toujours. Une définition de l'homme, du sorcier à respecter. Quitte à contraindre à l'exil ceux qui ne suivent pas ces critères. L'espoir fait vivre n'est-ce pas ? Faut-il encore en avoir suffisamment pour avancer. Cependant, je veux vivre, libre, comme avant...
Je ne crois pas que la solution à cette aberration soit dans l'un des nombreux livres dont j'ai la charge. Pour l'instant, ma situation ne semble pas trop être en péril. Pourquoi couper tous liens avec toi, te demandes-tu ? Parce que tout cela va changer, je le sens. J'espère me tromper, tu ne sais pas à quel point. La sécurité de cet imposant lieu me semble bien loin maintenant. Je vais faire tout mon possible pour être aussi juste que ma mère ou que toi. Je ne peux me permettre de te mettre en danger d'une quelconque façon. Alors oui, je te demande, non, je te supplie de m'oublier. Quelle folie ! Je te laisse tout de moi, tous nos moments passés ensemble, à une seule condition : que tu ne cherches pas à me retrouver. Un seul mot et mon existence peut être à jamais effacée de ton esprit.
Soit plus forte qu'un roc. Soit plus puissante que la magie qui coule dans mes veines. Soit plus épanouie que n'importe quelle fleur. Soit aussi heureuse que je l'ai été. Continue sur cette route. Soit comme ce Peter Pan, tourne la page et vois au-delà des étoiles qui s'éteignent.
Avec tout mon amour,
Wendy.
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