« Oui, elles sont décédées » répéta l’homme à l’autre bout du combiné. C’était un coup de massue, un ange passa. Et comme si la nouvelle prenait d’un coup tout son sens, Cassian se mit à pleurer sans trouver la force de pouvoir s’arrêter. Décédées : le mot résonnait dans sa tête comme une musique dont on ne peut se défaire. A sept ans, voilà qu’on lui enlevait ce qu’il aimait le plus au monde : sa mère et ses deux petites sœurs ! C’était incroyable, impensable. On lui avait retiré une partie du cœur, on le lui avait arraché, découpé en mille morceaux. La plaie béante saignait de toutes ses forces sans qu’il n’y puisse rien faire et finalement, il en était de même pour Nora, pour son père, pour tout le monde. Le monde semblait s’être arrêté, l’équilibre de la terre semblait bouleversé. Comment avait-on pu ôter la vie à des personnes si exemplaires, si jolies, si bonnes ? Cassian s’étouffait à force de sanglots, son visage pâle trop irrité par les larmes salées était devenu tout rouge, les vaisseaux de ses yeux explosaient un à un, il était tout tremblant, incapable du moindre mot. Il était devenu un monstre, un monstre de tristesse. Pourquoi lui affligeait-on pareille souffrance ? Avait-il été mauvais ? Dans ses souvenirs, jamais il n’avait causé assez de tort à quiconque pour pourvoir être puni de la sorte. Mais il aurait dû se méfier, se dire qu’on lui enlèverait tout ce qui le rendait heureux, qu’il vivrait nombre de malheurs en contrepartie de ces sept dernières années de bonheur. L’équation était simple et il aurait dû le savoir alors il se maudissait comme jamais, il aurait bien voulu s’arracher les cheveux, s’infliger du mal, mourir. Heureusement il avait encore Nora, sa belle Nora qu’il adorait presque d’un amour incestueux et son père qui demeurait le plus majestueux des hommes dans son cœur : il les aimait tout deux tendrement et se promettait de ne jamais les quitter, ils étaient ce qui lui restait, quelques éclats d’une famille brisée à jamais.

Les mois suivants furent les plus rudes. Entre morosité et mutisme Cassian assistait impuissant à la descente aux enfers de son père : triste comme une pierre ce dernier ne trouvait refuge que dans la boisson. C’était tout le temps, il ne s’arrêtait jamais. Nora elle était de plus en plus exécrable et dans un désir sauvage de protéger sa famille, elle ne tolérait aucune visite. Le quotidien était pesant et rien n’était comme avant, la tristesse les rongeait tous de l’intérieur sans qu’ils ne pussent y faire quoi que ce soit. C’était le ‘’cycle de la vie’’. Tous les soirs de la semaine Cassian allait au cimetière non loin de chez lui pour se recueillir sur les tombes des défuntes : il ne voulait pas les laisser partir, il se serait dépouillé de tout pour pouvoir leur dire rien qu’une seule fois « je t’aime », ou juste les revoir un instant. Mais il était trop tard et il en était fâché et amer. Par pitié, quelqu’un entendait-il ses prières ? Quelqu’un arriverait-il à le sortir de son malheur dans lequel il était embourbé jusqu’à la tête ? Non personne n’était là, plus personne pour le soutenir, lui conter des histoires joyeuses le soir, le faire sourire. Le tunnel sombre dans lequel il s’était engouffré ne semblait jamais finir, on n’apercevait même pas un filet de lumière, si mince soit-il. Ses nuits étaient troublés par des cauchemars, par des images des êtres perdus, des images de la déchéance de son père et c’était déjà beaucoup pour un jeune garçon de son âge. Et puis il y avait Dabria, elle tentait du mieux qu’elle pouvait d’aider la famille mais Nora ne la supportait pas, elle en était presque jalouse, apeurée à l’idée que sa défunte mère ne soit remplacée par une arriviste. Cassian ne reconnaissait plus la vie qu’il avait tant aimée et se sentait prisonnier d’une tristesse ineffable et éternelle.

Durant ces années de malheur où l’impression que tout état de béatitude était vain, Cassian avait développé une aversion pour les moldus. Ils étaient les responsables du massacre de tout un pan de sa famille et alors il les haïssait au plus haut point. Il avait coupé les ponts avec ses anciens amis sans aucun mal, mu par un esprit de vengeance. Il avait besoin de punir quelqu’un pour le dramatique accident qui avait décimé sa famille. Bientôt, son esprit devint élitiste et ne trouvait grâce à ses yeux que les sorciers issus de grandes familles. Sa sœur était pareille, voire pire. Ainsi on leur attribua vite l’étiquette de futurs mangemorts. Nora y voyait un honneur lorsque Cassian ne se sentait pas à l’aise ; il était autodidacte et ne se sentait guère le cœur à être guidé par qui que ce soit. Alors ses ardeurs se calmèrent peu à peu et sans pour autant vouloir être amis avec des moldus, Cassian les toléra. Un tout petit peu.

L’arrivée à Poudlard, la rencontre de nouvelles personnes, la fusion opérée avec sa sœur, son aversion pour les moldus… Tout cela était arrivé d’un coup. Libéré de sa ville natale, de sa maison d’enfance et de tous les objets qui avaient un lien quelconque avec ses amours défuntes, Cassian était un être nouveau. Il avait longtemps servi de médiateur entre son père, sa sœur et Dabria : c’était un triangle infernal dans lequel il ne s’était jamais retrouvé, lui n’avait de haine contre personne et voyait en Dabria l’espoir d’un avenir meilleur pour son père, peut-être avait-il mieux digéré la mort que sa sœur qui, toujours fidèle à elle-même n’en démordait pas. Elle avait développé une possessivité qui n’avait pas lieu d’être et désirait demeurer la seule dans le cœur de son père et de son frère, chose que ce dernier ne comprenait toujours pas. Il aimait Nora plus que n’importe qui, il était prêt à la suivre où qu’elle aille, prêt à la protéger de tous les dangers, prêt à l’aimer jusqu’à sa mort alors, comment arrivait-elle à penser qu’une autre puisse prendre sa place ? Il avait pris l’habitude de la traiter d’idiote lors de ses crises de jalousie mais, il était aussitôt pris de remords et alors il la serrait fort contre lui pour se faire pardonner: tout l’amour du monde convergeait entre ces deux-là. C’était un amour comme il en existe peu, un amour rare mais qui n’en demeure pas moins fort et résistant. Un amour unique et éternel. Andreas se félicitait de voir ses deux enfants si proches, il en était presque ému. Lui avait doucement remonté la pente, grâce à l’aide précieuse de Dabria. Malgré les embuches semées par Nora, elle avait réussi à se faire une place de choix dans le cœur du veuf. Cassian s’en réjouissait intérieurement, heureux de voir son père heureux, lui qui n’avait pas souris sincèrement depuis si longtemps.

Poudlard vit naitre les premiers amours de Cassian, tous brisés par la présence d’une sœur trop possessive. Incapable de résister à Nora, le jeune homme avait pris l’habitude de rompre rapidement avec ses petites amies avant que les relations ne s’enveniment. La dernière en date était une relation assez platonique qu’il avait partagée avec Arya Duchanes, une jeune fille de son âge douce et mature comme il les aimait, il s’était vite attaché à elle mais il avait dû tout aussi rapidement la quitter, non content d’insatisfaire sa sœur toujours hantée par la peur d’être oubliée. Calme et diplomate, il avait réussi à faire revenir ses relations à la normale en redevenant pour Arya une connaissance des plus banales. Quant à sa sœur, elle continuait de nourrir une aversion pour toutes celles qui s’approchaient trop près de sa chasse gardée. Ainsi, lorsque Mr Fawkes-Hawthrone se vit encouragé par son propre père à se marier avec une autre femme, la nouvelle sonna comme l’annonce d’un crime de haute trahison pour Nora qui se mit (comme pour Dabria) à user de stratagèmes afin que l’union n’ait pas lieu. De son côté et puisqu’il n’avait aucune animosité ni envers Dabria ni envers Amesteia (la nouvelle venue), Cassian ne participait pas à ces jeux malsains qu’il décrivait même de ‘’puérils’’. Ce qui lui importait était le bien-être de son père alors jamais il ne se serait permis d’influer sur ses décisions d’une quelconque façon.