Quelle idée de me marier aujourd’hui. Mais pourquoi j’ai eu cette idée. Parce que j’aime ma femme, après l’avoir trompé, je peux me permettre de l’aimer. Pour le plaisir de réunir ma famille en ce beau jour du mois d’août. Je déteste ma mère et mon père n’a même compris que je me mariais ; encore dans ces délires dû à la maladie. Et merlin ! Pourquoi ce nœud papillon veut pas se nouer correctement. Sans parler de cette odeur fruité caractéristique que je sentais derrière moi , celle de ma mère. Plus elle se rapprochait, plus l'odeur ressemblait à celle du pot pourri. Je jetais rageusement mon nœud papillon avant de me retourner pour me retrouver face au visage émacié de ma génitrice. « Encore un futur mariage raté, heureusement les boissons sont gratuites ». Comme toujours des sarcasmes en guise de bonjour, et un verre de porto qu'elle tient négligemment dans la main droite. « J'avais parié que tu ne viendrais pas avec papa, mais heureusement sa mémoire lui fait défaut ». Un pâle sourire, sans joie, se dessine sur son visage ridé, tinté d'un mépris à peine refoulé. Elle ne cherche même pas à cacher le dégoût que son ex-mari sénile lui inspire. Il me vient une furieuse envie de la frapper, mais je la réprime ; certes c'est ma mère, mais tout de même de là à la tabasser. « Je ne viens que pour pouvoir mieux vous dire que je vous l'avais bien dit.Les mariages dans cette famille sont voués à l'échec ». « Merci maman, tes vœux de bonheur me vont au droit au cœur, autant de chaleur humaine dans une si petite personne, ça me chamboule ». Ce n'est pas vraiment que je ne l'ai jamais aimé, c'est plutôt que j'ai mal vécu d'être abandonné, par celle qui était censé me prodiguer soins et amour, à l'âge de dix ans. Sans compter que, même, pendant ces dix années où elle était censé être là, je ne l'ai pas beaucoup vu non plus. D'ailleurs, je crois que c'est en partie pour ça que la plupart des mariages de la famille Luxford finissent en divorce ; voire même en multiples homicides. Ce qui est plus troublant pour moi, c'est que je me sente si proche de cet être abject que je me force à appeler maman. Je la déteste, mais de cette haine est né une sorte d'amour, ou plutôt de désamour filiale intense qui nous rapproche plus que nous ne saurions l'exprimer avec des mots. Elle aussi ressent cette chose-là, je le sens, je le vois au fond de ses yeux. Ses mesquineries ne m'ont jamais atteint, j'y ai toujours répondu et je crois que c'est pour ça qu'elle me hait et qu'elle m'aime tout en même temps. Elle n'a pas d'emprise sur moi, elle ne peut pas laisser sa marque indélébile sur mon âme et c'est probablement pour quoi elle est partie il y a quinze ans ; sans oublier au passage de rendre mon père fou. Car oui, je crois que c'est elle qui a provoqué sa maladie, d'une manière ou d'une autre. « Si seulement nous n'étions pas voués à nous détester, nous pourrions tellement nous aimer ». « Oui, mais seulement il a fallu que tu t'tires avec le premier venu et c'est plus maintenant qu'il faut s'poser des questions, c'était il y a quinze ans ». « Bien sûr ... tous mes vœux de bonheur, sincèrement ». Je la regardais s'éloigner sans rien dire alors que j'aurais voulu la retenir ou que je croyais vouloir la retenir. Ne rien dire, c'était ça le problème de cette famille de dégénéré : les non-dits.

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Les bips répétitifs des machines, les flash lumineux et les gens qui courent dans tous les sens. Sans visages, ils ne sont que des blouses de différentes couleurs selon leur rang. Dans un hôpital comme Sainte Mangouste, c'est ce que nous sommes tous, de l'infirmière au chef de service, des blouses avec un joli badge à notre nom. Un nom que personne retient et surtout pas les patients. C'est vrai que les médicomages consacrent pas beaucoup de temps aux patients, mais c'est parce que ce temps-là, ils ne l'ont pas. La triste vérité c'est ça : on aimerait tous s'intéresser à nos patients, humainement et pas seulement médicalement, mais on a vingt patients à voir en moins de vingt minutes, alors on est pressé. Et puis il y a les urgences, la bonne femme qui a la bonne idée de faire un choc anaphylactique devant un interne, qui ne s'est plus où se mettre. Heureusement, je suis pas loin, je cours jusqu'à la vieille dame en sortant ma baguette. Prise de pouls, diverses instructions, une ou deux formules et une potion plus tard, je réunis mes internes. Toutes ces têtes face à moi, admiratives et craintives à la fois, pour eux, je suis dieu le père, merlin ressuscité ou le dernier acteur à la mode avec qui elles aimeraient toutes couchées. Pour eux tous, je suis celui qui peut faire la pluie et le bon temps, celui qui fait des miracles en extirpant des griffes de la mort de pauvres âmes malades. Ils devraient savoir, tous ces gamins, ils devraient savoir que je suis qu'un pauvre type qui se débat autant avec la vie qu'avec la mort. Ils devraient intégrer ça parce que d'ici une dizaine d'année, ils seront comme moi. J'aurais presque envie de les prendre en pitié, mais leur rôle à eux, dans ce grand bâtiment, c'est de se faire engueuler. « Qui est le crétin décoloré à l'origine de tout ça ? ». Bien sûr demander ça ne sert à rien, mais bon autant essayer on ne sait jamais. Le truc, c'est que je peux savoir qui sait en lisant la fiche de soin. Ladite fiche que je brandis sous le nez de mes internes qui enfin commencent à comprendre qu'ils n'ont aucun espoir de survie ici. « Oh ! ça alors une fiche de soin consciencieusement rempli par un interne sérieux qui ne sait pas lire. Ici, y a marqué allergique au gingembre et toi tu prépares la potion quotidienne de madame avec du gingembre, t'as pas comme la nette impression d'avoir déconné ». "toi", c'est un des internes qui enchainent gaffe sur gaffe depuis quelques temps. Moi aussi, j'ai fait des conneries étant interne, mais là il bat tous les records de cet hôpital de malheur. Je devrais le virer, mais ce mec-là a un potentiel énorme alors j'attends, je repousse, je lui mets la pression à lui plus qu'à quiconque. Je le vois qui essaye de balbutier quelque chose pour s'excuser ou se justifier. Je sais ce qu'il va dire, trop de patients, trop de dossier, trop de boulot, pas assez de sommeil ; les trucs classiques. Classiques, mais vrai je le crains. « Non, mais attends, attends, je m'en fous. Toi tu t'assoies sur cette chaise et t'y restes pendant trois jours pour écouter les battements de cœur du bureau des infirmières et vous vous décarrez de là en vitesse ... Mais grouillez-vous bon dieu ». Et les internes "décarrent en vitesse" comme une nuée d'insecte affolée par une main humaine qui vient déranger leur vol. Mon interne prometteur, mais maladroit s'assoie sur une chaise et écoute les battements de cœur d'un bureau ; punition idiote dont je fus victime pendant mes études. Et en regardant mes internes qui se bousculent dans tous les sens, je prends conscience que je perds mon temps ici, que je me suis éloigné du chemin que j'avais prévu à l'origine et que je suis aussi désorienté que ces gamins un peu empotés. Je cours voir mon chef de service, défonçant presque la porte, haletant, je sais que je fais peut être la pire connerie de ma vie, mais lui il comprendra. « Je démissionne, j'me casse d'ici en vitesse et je vais vivre ma vie ». « Fallait bien que ça arrive un jour, t'es sûr de toi Sörenn ». Je prends le temps d'y réfléchir, mais pourquoi je prends le temps d'y réfléchir, je suis sûr de moi. Je suis sûr de moi depuis des années. Vas-y, réponds-lui crétin, si tu le fais pas maintenant, tu le feras jamais. [color=darkgoldenrod]« J'ai trente-cinq ans, une femme qui va m'quitter, un gosse qu'a jamais vu son père, ça fait dix ans que je vois des mecs crever et tu voudrais que je reste pour en voir encore pendant dix ans ou peut être pour mes internes que j'aime tant ou pour les patients que tu rafistoles et qui se dépêchent de te faire un procès parce que t'avais les mains un peu froide en prenant sa température ; j'ai aucune raison de rester, j'ai toutes les raisons de partir, alors oui, j'suis sûr de moi »|/color]. « T'as eu les couilles de faire ce que je rêve de faire depuis des années. Adieu, dégage avant de changer d'avis ». Je me suis mis à courir, comme poursuivi par une entité invisible, j'ai couru jusqu'à chez moi. J'ai embrassé ma femme, j'ai embrassé mon gosse et on s'est barré pendant un an. Le tour du monde fini, les problèmes sont revenus, il me fallait un boulot et j'apprenais que mon père allait probablement pas tarder à crever. Alors j'ai pris un boulot, et j'ai enterré mon père.