Elle avait ce regard triste et vide que personne ne comprenait. Elle avait cette angoisse, au fond de ses prunelles aussi claires qu'un ciel d'été. Elle avait le crépuscule à l'aurore de ses vingt-deux ans. Elle était belle, comme un rayon de soleil, mais sombre comme si les nuages de la vie s'obstinait à l'empêcher d'éblouir le monde. Melysandre MacNair avait tout pour être heureuse, épouse d'un sang-pur de renom et femme au talent divinatoire incontesté.. mais quelque chose striait son existence parfaite d'une douleur latente qui ne demandait qu'à s'exprimer. Elle était une épouse parfaite, dévouée, aussi noble qu'elle le devait et jamais elle ne faiblissait en société, pourtant le soir, à l'abri des regards, elle laissait s'échapper de ses opales les larmes d'un avenir flou. Etait-il concevable qu'une femme si respectable ne soit capable d'offrir à son époux l'héritier tant désiré ? Chacun savait qu'il était important de donner un enfant, ne serait-ce qu'un, à cette branche de la famille.. le sang devait perdurer, et si ce n'était le sang, au moins le savoir et le talent. Non, les MacNair n'étaient pas racistes, ils n'appliquaient pas la discrimination dont la plupart des grandes familles se vantaient. Ils avaient simplement un idéal. Tous mangemorts de leur état, les fils n'avaient cependant pas pour désir primaire d'endoctriner leurs enfants.. même si Melysandre et Julius commençaient à douter de leur capacité à procréer.

Fiancés à vingt ans, mariés à vingt-deux, ils avaient la jeunesse et la force. La beauté fine et délicate, la force et l'aura, pourtant il fallut dix longues années pour qu'enfin, le miracle se produise. Les psychomages ne cesseront de vous dire qu'un couple dont l'attention est fixée sur un seul et unique objectif pourrait ne réussir qu'à se mettre, seul, des bâtons dans les roues.. cela s'est vérifié. Lorsque Melysandre abandonna l'espoir d'être une mère attentive, elle réalisa qu'elle était enceinte. L'obscurité voilant son regard si clair sembla peu à peu s'effacer, la tristesse elle-même s'envola de ses traits pour donner à contempler une beauté aussi radieuse que sereine. Elle garda le secret trois mois, le temps nécessaire afin de s'assurer que rien ne viendrait contrarier cette grossesse aussi heureuse qu'inattendue. Trois mois de silence où l'art permit de faire apparaître en son coeur le calme et l'assurance nécessaire pour entrer dans les plus belles années de sa vie. Le couple découvrait le bonheur, et soudain il leur sembla que le malheur était effectivement la chose la plus comique, éphémère au monde.


« Edheyn ? » La voix douce s'est infiltrée dans le silence de la bibliothèque familiale. La fillette a levé ses grands yeux bleus vers sa mère, cette femme souriante et toujours optimiste sur qui elle tentait de prendre exemple. « Tout va bien ? » Elle a acquiescé d'un signe de tête, sans un mot. Edheyn ne parlait pas. Edheyn ne pouvait pas parler, quoi que l'on en dise, quoi que l'on en pense.. quoi que l'on veuille y faire. Elle fut toujours une enfant très calme, un bébé dont la sagesse et le silence étonnaient sans inquiéter toutefois. Couvée, choyée, adulée, elle était heureuse.. son regard parlait pour ses lèvres résolument closes. Ses expressions donnaient à entendre des mots qu'elle ne prononçait pas. Sa douceur compensait les éloges que sa voix était incapable de laisser s'envoler aux oreilles d'un entourage aussi patient que compréhensif. Tout l'amour du monde se décryptait dans ses gestes rendus gracieux par une pratique de la danse.. la petite, encore à peine âgée de cinq ans, recevait déjà une éducation artistique que Melysandre estimait essentielle. Elle espérait effacer la solitude de sa précieuse en lui offrant mille rêveries à peindre sur une toile, à dépeindre sur papier, à sculpter dans l'argile. Aussi, si la jeune MacNair était plutôt solitaire, nul ne doutait qu'elle savourait ce que la vie lui offrait : la dévotion inconditionnelle de sa mère et la fierté de son père dans un univers où son sang supplanterait son handicap.

Les années passèrent ainsi, calmes. Pas d'incidents notoires. Comme chacun s'y attendait, Edheyn reçu sa lettre pour Poudlard, école de sorcellerie dans laquelle elle entra sans jamais avoir prononcé un mot. La première difficulté vint lui barrer la route : comment lancer des sortilèges sans dire la formule ? Il lui fallu plus de temps qu'à ses camarades pour parvenir à un résultat, non pas qu'elle ne sache pas se servir de sa baguette, mais parce qu'elle fut forcée d'apprendre un acte magique au-delà de ses capacités. Un acte magique muet s'avère moins simple à former qu'un sort balancé aussi facilement que les mots sortent d'une bouche. Elle s'est isolée, durant trois ans, noyant son déficit dans l'étude de toutes sortes de choses. Elle aimait apprendre, c'était incontestable. Elle trouvait dans les livres le réconfort que les autres ne lui offraient pas vraiment. Edheyn était ambitieuse, très ambitieuse, et la combinaison de ce trait de caractère à son obstination lui donnait la force d'avancer et de toujours dépasser ses limites. Elle était brillante. Elle était belle, autant qu'une poupée de porcelaine. Mais elle était muette.


« … Silence ... » Il s'est imposé. Melysandre a stoppé son geste dans le vide, ses doigts tremblants légèrement sur le verre d'alcool tandis que Julius écrasait son cigare dans un cendrier lévitant. La famille au grand complet, comprenant cousins, oncles et tantes venait d'obéir à un ordre à peine audible, mais pourtant terriblement surprenant. « Pardon ? » Ils se sont regardés, cherchant à qui pouvait appartenir la voix qui s'était élevée avec douceur au milieu des conversations. « … Vous.. vous ne vous écoutez pas... » Le verre s'est écrasé sur le sol dans des éclats cristallins. En dix-sept ans, c'était la première fois qu'Edheyn ouvrait la bouche. Le son doux et tendre, ces murmures délicats semblèrent être la plus belle mélodie que les MacNair avaient entendu. Elle, elle a replongé le nez dans son livre, laissant planer un silence religieux dans le salon familial. « Julius.. c'est.. un miracle. » C'en était un. Le couple ne comptait plus les médicomages, les charlatans en tout genres qu'ils avaient engagés dans le but de rendre à leur fille la faculté la plus basique, celle que tout sorcier de sang-pur se devait de posséder. Elle ne pouvait rester dans son mutisme, même s'ils l'aimaient comme cela, elle devait agrandir son horizon pour avoir l'avenir qu'elle méritait. Elle l'avait enfin à portée de ses doigts délicats.

« Tu comptes parler des heures ? Il faut savoir se taire lorsque le moment l'exige. » La douceur de sa voix contrastait terriblement avec cette critique à peine dissimulée. Si Edheyn fut longtemps une enfant effacée en toutes occasions, elle apprenait à s'affirmer, savourant chaque jour la facilité avec laquelle les mots obéissaient à ses pensées. Il restait parfois plus facile de se taire, elle continuait à user de sortilèges muets, comme elle l'avait toujours fait, par habitude, parce qu'aussi paradoxal que cela puisse être, cela lui semblait comme une évidence, le reste lui paraissait plus compliqué. Le voile qui peignait autrefois son regard, comme celui que sa mère arborait dans sa jeunesse, s'était levé sur deux prunelles pétillantes et azurées, lui donnant l'air d'un ange tombé du ciel. Peut-être les anges ne parlaient-ils pas ? Un haussement d'épaules répondit à la remarque de la jeune MacNair. Elle n'en fit pas grand cas. Egoïste ? Loin de là. Edheyn n'accordait cependant sa générosité et son attention qu'à ceux qu'elle estimait digne de cela. Les mots sont précieux, ne se gaspillent pas, sauf si la personne en face est assez proche, assez tolérante et brillante pour que l'on puisse se permettre de laisser s'échapper sans retenue les fées mélodieuses que sont les phrases.

Nul ne saurait vraiment affirmer connaître Edheyn, si ce n'est peut-être certains membres de sa famille qui ont conscience du chemin qu'elle fut forcée de parcourir. L'ignorance est une faiblesse, la plus grande qui soit.. c'est elle qui provoque les préjugés, exécrés par une jeune femme qui ne pose son avis sur une personne qu'en observant son comportement, qu'en analysant ce que ses silences peuvent exprimer.