Je me surpris à me perdre dans la contemplation du ciel. Les couleurs étaient merveilleuses, envoûtantes, comme on en voyait peu. Là, un peu d’orange, rappelant le jus de citrouille servit chaque matin dans la Grande Salle. Puis, dans un tourbillon, le même rose que les fleurs dans le jardin de ma mère et un mauve très pâle, si pâle qu’il semblait blanc. Un peu plus loin, un bleu azur, magnifique, et je cru même apercevoir une touche de vert dans ce qui était pour moi un spectacle rare. C’est à couper le souffle. Cela faisait si longtemps qu’un coucher de soleil avait été aussi beau. Tout simplement beau. Je perdis le cours de mes pensées, oubliant pourquoi j’étais ici, s’il existait véritablement une raison. J’étais sortie dans le froid, car le vent soufflait assez fort pour faire voler mes cheveux autour de moi, souliers chauds aux pieds, mitaines aux mains et foulard bleu et gris autour du cou. Puis, je jetais un regard autour de moi. Pourquoi n’y avait-il personne dans le parc alors qu’il y avait ce ciel majestueux ? Je secouai la tête. De toute manière, peut-être étais-je mieux seule, de cette manière, je pourrai savourer ce moment de tranquillité à fond. Je m’adossais donc à l’arbre le plus proche, le regard toujours tendu vers le ciel, et inspirai un bon coup.

Tout avait déboulé pendant ces derniers jours : un véritable torrent de travaux à faire, des services à rendre ici et là, une légère vie sociable, bref, la cohue. Et voilà que je venais d’apprendre que Reed sortait avec Lana. Aux premiers abords, je n’avais rien dit. J’avais esquissé un sourire, tout simplement, prononcé mes félicitations. Tout ce que je me devais de faire, en quelque sorte. Lana était comme une sœur et Reed était… enfin, c’était Reed. Je repassai en boucle les dernières années, eut un sourire au souvenir de notre premier contact. Rien de magique et sensationnel, il fallait le dire. Puis, depuis nos 15 ans, tout s’était précipité. Aujourd’hui, nous sommes presque inséparables. Je ne comprends même pas pourquoi on passe tout ce temps ensemble. Donc, évidemment que ça allait me faire quelque chose, sachant qu’il passerait le plus clair de son temps avec Lana, maintenant. Ça me faisait toujours quelque chose lorsqu’il était avec quelqu’un d’autre. C’était un sentiment que je ne connaissais guère, dérangeant, mais que je ne savais pas contrôler. C’était comme ça, voilà tout. Mais il fallait bien que je fasses avec. Je m’étais décidée, en y repensant, avant de m’endormir, que je n’allais rien faire pour briser leur relation. Une partie de moi-même aurait certainement voulu manipuler quelqu’un pour provoquer un quelconque événement qui aurait précipité leur rupture, mais je les aimais trop, tous les deux, pour me résoudre à poser un tel geste.

Non ; j’allais rester tranquille. Mais au fond, ça me serrait le cœur. Je ne sais pas, je… J’avais l’impression d’être spéciale pour lui, et maintenant, c’est… C’est étrange, comme sentiment. Je ne pourrais même pas le décrire. Je crois qu’en parler avec Reed serait quelque chose de bien. Je me rappelai que c’était exactement pour cela que j’étais venue ici ; on avait l’habitude de s’adosser à cet arbre-là pour discuter. J’avais osé espérer qu’il se pointerait, je lui en avait glissé un mot à notre dernier cours. S’il allait venir, je n’étais pas convaincue. Peut-être allais-je lui taper sur les nerfs ? Étais-je trop insistante ? Je ne savais même pas quoi lui raconter, comment emmener le sujet, à vrai dire, j’ignorais quoi lui dire. C’est pourquoi, lorsque je le vis apparaître, ce fut comme si ma gorge bloquait, et mes mots se perdirent dans un coin de ma tête. Je ne fis donc que l’observer tranquillement approcher. Son visage m’évoquait tant de souvenirs… Puis, tout à coup, je me sentis stupide, stupide de l’avoir emmené ici parce que je voulais, en quelque sorte, lui reprocher de ne pas m’avoir prévenue pour Lana. C’était elle qui m’avait tout raconté, lui n’avait rien dit jusqu’à maintenant. Bon, c’était encore récent, mais il y avait eu des dizaines d’occasions. Pourquoi ne l’a-t’il pas fait ? La question était au bord de mes lèvres, mais impossible de la poser immédiatement. Je ne voulais pas paraître fâchée contre lui. Non, je ne l’étais pas. J’étais… Ah, en fait, je ne savais rien ! J’aurais l’air complètement idiote, mais je voulais qu’il m’en parle un peu, du moins. Quelles étaient ses impressions, qu’il me raconte un peu comment c’était arrivé. Nous passions presque tout notre temps ensemble, mais je réalisais tout à coup que malgré tout, je ne savais pas grand chose de lui, pas de son passé en tout cas. Et que lui avais-je raconté sur moi ? Nous travaillons ensemble, allons aux même cours, mais nous sommes dans mes maisons différentes, nous ne sommes pas confidents… Je secouai la tête. Je m’embrouillais, et il me fallait avoir les idées claires. Lorsqu’il fit tout près, je lui adressai tout simplement un sourire. « Je n’étais pas certaine que tu viendrais. »

Les mains dans les poches, un léger sourire aux lèvres, son pas lent mais déterminé, toujours animé de sa nonchalance presque légendaire, je pouvais presque lire sur ses lèvres le fredonnement qu’il devait avoir fait dans les couloirs. Étrange de voir comment j’avais bien appris à connaître sa manière d’être en si peu de temps. Il m’observa quelques secondes et je me demandais bien à quoi il réfléchissait. Reed avait beau être bien bavard avec moi, n’en restes pas moins qu’il savait être difficile à déchiffrer concernant certaines choses. Les sentiments plus profonds, par exemple. Encore une fois, je me demandai comment j’avais bien pu faire pour ne pas lire dans son visage la relation imminente avec Lana. Mais peu importe. De toute manière, j’osais espérer qu’il allait m’éclairer là-dessus. « Et pourquoi ne serai-je pas venu ? » demanda-t’il. J’eus un petit sourire. Il s’installa à mes côtés, m’en rendant un. Et voilà. Notre climat habituel de bien-être et de calme était instauré. Nous étions de nouveau Reed et Bonnie, ces deux-là qui étudiaient toujours ensemble. « Même si je m’étais fait mangé par un hippogriffe… » J’haussai des sourcils. Qu’allait-il me sortir ? Je n’avais pas l’habitude de rire souvent, j’étais plutôt du genre sérieuse, mais il avait ce petit humour particulier qui me faisait rigoler. Ou peut-être était-ce dans sa manière de parler. « … je serais quand même venu. » J’eus un petit rire. Ouais, tout à fait son genre. Au contraire de moi, il avait toujours cette tendance à tourner à l’humour, sans devenir trop sérieux, et ça me faisait le plus grand bien. Juste de pouvoir se détendre, pendant quelques secondes même, et savourer la beauté de la vie. Il m’adressa un autre sourire et je ne le quittai pas des yeux. Était-ce mal ? De se rencontrer ici, seuls, à sourire et rigoler ? J’eus une pensée pour Lana. Si elle nous voyait ici, que dirait-elle ? M’enfin, elle sait que nous sommes amis, mais parfois l’amour nous rend aveugle. Si aveugle qu’on voit tout du mauvais œil, sauf la personne aimée. Et ça peut s’avérer être dévastateur. Mais je connaissais bien Lana. Je ne crois pas que ce serait son genre de faire une crise de jalousie comme ça, sans raison.

« Maintenant que tu le dis, je me demande comment j’ai fait pour douter de toi ! » dis-je, toujours le sourire aux lèvres. Il y eut une rafale de vent soudaine et je fus aveuglée par mes cheveux qui se mirent à voler à droite et à gauche. Avec un petit rire, je les replaçai et portai mon regard sur le ciel que j’observais avant qu’il n’arrive. Je savais pourquoi je lui avait demandé de venir. Et pourtant, mes lèvres ne s’autorisaient pas à en parler. À présent, j’avais l’impression qu’aborder le sujet gâcherait le moment. Que je serais trop insistante, trop énervante, n’importe quoi du genre. Et je ne voulais pas gâcher leur bonheur en m’incrustant de cette façon. « Magnifique, n’est-ce pas ? Ça me fait un peu penser à l’arc-en-ciel que l’on a crée en Potions l’autre jour… » Mon ton avait été vague, j’étais emportée par ma contemplation du fabuleux spectacle. Puis, je secouai la tête, m’arrachant à mes pensées lointaines, me concentrant sur le moment présent. Je me tournai vers lui, mes yeux s’accrochant aux siens. Tout se bousculait à l’intérieur de ma tête. Comment réagirait-il ? Était-ce le bon moment ? Comment aborder le sujet ? Parfois, je réfléchissais bien trop, j’aimerais être du genre impulsif, ne pas tourner ma langue 15 fois avant de parler comme je le fais maintenant. « Alors… racontes. » Ce fut ce qui sortit de ma bouche. Je crois qu’il allait comprendre de quoi je parlais sans que je le dise vraiment, ça devait se lire dans mon regard, et je ne parlais certainement pas du dernier examen de biologie. J’ajoutai un sourire, juste pour le rassurer, mais j’ignorais ce qu’il allait me dire. Peut-être allait-il parler, peut-être pas. Je me faisais violence, oui ; je me faisais violence car je ne voulais pas qu'il lise la jalousie dans ma voix. Je savais qu'au fond, je l'étais un peu, pas nécessairement de Lana, mais du fait qu'il y ait quelqu'un dans sa vie. C'était un sentiment que je détestais réellement, mais impossible à contrôler. Je ne pouvais m'empêcher de penser s'il allait m'oublier, puisqu'il aimait Lana, s'il allait commencer à déserter nos sessions d'étude pour passer du temps avec elle, me laissant inévitablement seule. Et là, que ferais-je ? Évidemment, il y avait les autres personnes dans notre cursus, mais ce n'était pas pareil. Non, avec Reed ca devenait agréable et amusant. Mais je m'en voulais de penser tout cela, et je savais que malgré tout, je ne ferais rien pour l'arrêter, j'aimais trop Lana et je l'aimais trop pour cela, je crois bien. Je ne voulais pas le perdre. Et je crois qu'au fond, je n'ai besoin que d'être rassurée.