Quand elle se réveilla, il faisait nuit. La pluie glacée s’abattait sur toute sa silhouette recroquevillée sur le sol, traversant ses vêtements depuis longtemps trempés. Sa main tremblante se referma faiblement sur une touffe d’herbe alors que l’odeur de terre humide emplissait ses narines. Doucement, elle se releva en vacillant, comme prise de vertige. Son esprit lui paraissait embrumé et son corps lourd, engourdi. Tout était flou autour d’elle, l’obscurité n’améliorant pas la situation. En plissant les yeux, les contours d’une multitude d’arbres, un tapis de mousse et de feuilles mortes commencèrent à se dessiner. Une forêt. Elle se trouvait au beau milieu d’une forêt en pleine nuit. Une douleur vive lui traversa les tempes. Immédiatement, elle porta sa main à sa tête. Ses doigts rentrèrent en contact avec un liquide poisseux, brun. Du sang.

Un sentiment oppressant s’insinua dans sa poitrine, se répandant rapidement dans ses veines jusqu’au bout de ses ongles. Claquant des dents, elle se traina pour aller s’adosser au tronc d’un arbre, ramenant ses jambes contre sa poitrine dans l’espoir de conserver un semblant de chaleur. La forêt donnait soudain une impression beaucoup plus menaçante comme si elle cherchait à se rapprocher pour l’encercler. Le bruit incessant des gouttes de pluies s’écrasant sur le sol lui semblait étrangement lointain, ce même sentiment que lorsque l’on vous plonge la tête sous l’eau. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là ? Cherchant dans les moindres recoins de son esprit enfumé, rien ne vint. Ni sa famille, ni sa maison, ni son identité. Rien. Le noir complet.

La panique l’envahit, glaçant ses os alors que ses épaules se secouaient lentement au rythme de ses sanglots. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là ? Qui avait pu l’abandonner ici ? Laissant son front tomber contre des genoux, elle se mordit la lèvre pour étouffer le son de ses pleurs. Et maintenant ? Et maintenant ? Elle voulait crier, hurler, appeler au secours, cependant sa voix restait coincée au fond de sa gorge. Seule, elle était toute seule. Terrorisée, gelée, amnésique, et complètement seule. Ses doigts se crispèrent sur le tissu détrempé de son jean. Il fallait partir. Elle ne pouvait pas rester accroupie là indéfiniment. Inspirant profondément elle se mit à courir, droit devant elle, peut importe où cela aller l’emmener. Essuyant du revers de sa main ses larmes, elle courait sans s’arrêter, risquant de tomber plusieurs fois jusqu’à quitter l’ombre angoissante de la forêt et apercevoir les lumières d’une ville. Un cri de soulagement mourut sur ses lèvres au moment où ses pieds se posèrent sur un trottoir éclairé par un vieux lampadaire.

Les passants lui jetaient des regards bizarres. Bien sûr, elle n’était qu’une gamine d’une dizaine d’années, trempée jusqu’à la moelle, du sang coagulé sur la tempe gauche, dont on avait voulu se débarrasser dans un bois pour une mystérieuse raison. La fillette baissa la tête laissant quelques mèches de cheveux tombées devant ses yeux. Elle se sentait mal à l’aise, presque nauséeuse et partit rapidement se cacher au fond d’une impasse déserte. Se laissant glisser au sol, elle ne retint plus ses pleurs, se contentant de les étouffer avec sa manche. Elle était désemparée, seule, apeurée, sans aucuns souvenirs. Pourquoi avait-on tenté de l’abandonner ? Qu’avait-elle pu faire de mal ? Le froid causé par ses vêtements devenait insoutenable, ses lèvres étaient devenues légèrement bleues. Si au moins cette fichue pluie voulait bien cesser. Se balançant d’avant en arrière, les paupières closes, la petite fille ne se redit même pas compte de la sorte de bulle qui était apparut pour la protéger des gouttes. Elle voulait se réveiller dans un lit chaud et moelleux, réaliser que tout cela n’était qu’un horrible cauchemar.

Des bruits de pas lui firent rouvrir les yeux. Ses bras se resserrèrent sur sa poitrine dans un réflexe de défense. Un homme d’une trentaine d’années se tenait devant elle. Il la dévisagea un instant, le visage neutre.
« Comment tu t’appelles ? »
La fillette voulait lui répondre mais les mots lui manquaient. Elle n’arrivait même pas à se rappeler son nom. L’inconnu s’avança et s’agenouilla devant elle, maintenant son parapluie entre eux.
« Tu es comme moi. Viens, je connais un endroit où tu pourras aller. »
L’homme lui tendit sa main. Il y eut quelques secondes de silence, ou la fillette resta parfaitement immobile, avant qu’elle ne s’y agrippe de toutes ses forces. Cette main était à présent son seul repère au milieu de ce néant dans lequel elle se noyait.




Siobhàn sursauta. Encore ce cauchemar, celui du jour où elle s’était retrouvée perdue, sans aucun souvenir de ce qu’avait pu être sa vie. Elle se frotta les bras, se rappelant précisément la sensation des habits trempés contre sa peau. Respirant doucement, les battements de son cœur se calmaient peu à peu. La jeune femme était en sécurité, installée confortablement dans un fauteuil près de la cheminée de sa salle commune. Son regard croisa celui rieur d’un autre élève auquel elle répondit par une moue gênée. Siobhàn récupéra son livre qui était resté sur ses genoux et se leva, décidée à rejoindre sa chambre.

« Hé ! Siobhàn ! » Elle se retourna pour tomber nez à nez avec une de ses camarades de classe, un manuel scolaire dans une main, une liasse de parchemin dans l’autre. « Tu as un peu de temps libre là ? » L’asiatique retint un soupir agacé, sachant très bien ce que l’on allait lui demander. Son lit l’appelait, elle était fatiguée et souhaitait une seule chose : se reposer. Sourit. Ses lèvres s’étirèrent gentiment. « Oui, pourquoi ? » L’autre sorcière eut soudain un air soulagé. « Je me demandai si tu accepterais de m’aider pour le devoir de potions que l’on doit rendre après les vacances ? » Bingo, en plein dans le mille. « Pas de problème ! » Elle avait l’habitude, depuis sa première année à Poudlard elle a toujours fait partie des meilleurs élèves de sa classe, et puis elle avait toujours eu envie d’en savoir toujours plus.

Elles allèrent s’installer à la table la plus proche et pendant de longues minutes Siobhàn s’efforça d’expliquer patiemment, calmement, les notions de cours incomprises. Pendant que son élève d’un jour écrivait, elle jetait de temps à autre un coup d’œil par-dessus son épaule, corrigeant les fautes, apportant quelques précisions si nécessaires. Pour le reste, ses yeux noirs vagabondaient, observant la salle commune beaucoup plus animée que d’habitude en cette veille de vacances. Les élèves s’agitaient dans tous les sens afin de terminer leurs valises, montant et descendant les escaliers dans un mouvement de va et viens incessant, courant après un pull ou une écharpe égarés. Ils étaient tellement excités à l’idée de rentrer chez eux, de pouvoir fêter Noël avec leur famille. Comme si une pierre lui était soudainement tombée dans l’estomac, Siobhàn sentit la tristesse l’envahir. Elle, elle ne partait pas. Aucun endroit où aller. Poudlard était devenu sa maison. Elle n’aurait même pas su dire si quelqu’un l’attendait dehors, gardant une part de dinde au cas où elle viendrait toquer à la porte.

« Aah ! Je crois bien que j’ai terminé ! » La jeune fille poussa un soupir de soulagement en s’étirant. « Fais-moi voir que je vérifie s’il n’y a pas de fautes. » Siobhàn relue attentivement le devoir, griffonnant par endroit quelques petites remarques. « Ça me semble juste. » « Génial ! Une chose en moins à faire pendant les vacances ! » Un grand sourire lui mangeai le visage. « Merci pour ton aide, c’était vraiment sympa ! » Siobhàn se contenta d’un léger haussement d’épaules et d’un petit geste de la main. L’élève se leva, rassembla ses affaires. « Bon, faut que je termine mon sac. Bonnes vacances ! Amuse-toi bien p’tit sushi ! » Elle se pencha, ébouriffant un peu ses longs cheveux bruns. Siobhàn sourit, presque mécaniquement, lui tirant la langue alors que son amie retournait dans sa chambre.

Ils partaient tous. Ils rentraient tous chez eux, l’abandonnant ici. Seule. Comme lorsqu’elle s’était réveillée dans la forêt. Une boule d’angoisse nouait sa gorge alors que des larmes s’accumulaient lentement au bord de ses cils.
« Hé, ça va ? Tu es toute pâle. » Siobhàn se figea. Sourit. Un garçon un peu plus âgé se tenait devant elle. « Bah oui. » Un grand sourire lui mangeait à nouveau le visage. « Prêt à partir ? » L’étudiant hocha la tête puis lui pinça la joue. « Bonnes vacances ! Fais attention à ne rien casser, on sait tous que tu peux être maladroite quand tu t’y mets ! » La jeune fille croisa les bras, prenant un air outré. « Pff…allez, va-t-en ! » En rigolant, il retourna vers ses amis, en la saluant avec de grands gestes auquel elle répondit, le sourire toujours solidement accroché à ses lèvres.

Sourit.
Sourit petite fille.
Sourit pour ne pas rester seule.