- Tu es en retard. J'étais sur le point de partir.
- Le soir de mon anniversaire ? Quel salaud. Et où est le gâteau ?

Archibald frappa la table d'un coup sec avec sa baguette magique. Un gâteau apparut sur un plateau d'or et Rosie, qui était encore sur le seuil de la salle privée qu'il avait réservée à Pré-au-Lard, eut un sourire de caprice assouvi. Elle s'approcha donc et dénoua son manteau noir pour laisser apparaître une tenue qui comme toujours choyait ses formes et jouait avec les regards. Archibald lui laissa à peine le temps de souffler les bougies avant de lui prendre la main pour qu'ils dansent, seuls, sur le parquet vernis. Il y avait du jazz qui flottait dans la pièce. Chantonnant à l'oreille de Rosie, Archibald la faisait tourner dans un rythme dont eux seuls connaissaient la mesure exacte. Quand enfin ils s'interrompirent, ce ne fut que pour s'observer quelques minutes dans les miroirs qui jonchaient les murs.

- Qu'est-ce qu'on est beaux.
- Vaniteuse. On ne se retourne que sur moi dans les restaurants. Et puis, tu passes pour une peste, alors que j'ai le rôle du bel haïssable.
- Un jeu facile pour un médiocre acteur.

Ils se taquinaient comme ils le faisaient toujours. Cependant, Archibald observait ses cheveux châtains qui tombaient sur ses yeux bleus. Il avait des traits affirmés quoique trop communs à son goût. Sa chemise blanche Armani lui allait diaboliquement bien. Il sourit en se souvenant des virées qu'il faisait avec ses parents dans les magasins. Son père avait le sens du luxe, sûrement une trace de sa longue lignée de sang pur, et sa mère était dépensière. A eux deux, ils gâtaient leur fils unique avec un surplus d'exigence qui le rendit aussi capricieux qu'intelligent, aussi cultivé qu'orgueilleux. Rosie et lui étaient intolérables tout autant qu'ils étaient fascinants. Et le plus désagréable est qu'ils en étaient parfaitement conscients.

- Et mon cadeau ?
- Ma présence ne te suffit pas ?
- Ta présence est insupportable, Archie.
- Je m'en vais alors. Mais c'est dommage, parce que le cadeau est dans ma poche gauche.

Et bien sûr, elle le poursuivit et ils rirent en s'effondrant sur le canapé tandis qu'elle observait, avec un sourire qu'elle tentait de ne pas arborer, la bague fine et précieuse qu'il avait été lui trouver à Londres. Ils n'étaient pas fiancés. Ils n'étaient pas amoureux. Ils étaient un duo d'invincibles amis. Et ce fut après quelques longs verres qu'ils commencèrent à échanger des souvenirs, la tragédie des soirées entre personnes qui se connaissent depuis trop longtemps.

- Tu te souviens, quand nos parents se sont rencontrés pour la première fois ?
- On avait l'impression qu'ils allaient sceller un contrat de mariage.
- On se battait pour savoir lesquels étaient les plus raffinés.
- Clairement les miens.
- Gamin.

Archibald avait été heureux de rencontrer Rosie. Il avait déjà eu des amis, avant, dans les écoles privées qu'il avait fréquentées en Angleterre. Il avait toujours ramené des notes satisfaisantes et avait fait toutes les activités extra-scolaires d'un bon aristocrate du monde sorcier. Mais Rosie avait été la pièce manquante. Depuis, ils composaient une bande de marginaux dans l'école. Les autres se demandaient s'il n'y avait pas des échanges sexuels malsains. Et Archibald riait de les voir si frustrés. Pareillement, il riait de tous ceux qui n'avaient pas lu Brontë ou Poe et de celles qui n'avaient pas la classe d'Eva Green dans les films de Bertolucci. Il n'avait pas vécu de grandes fresques amoureuses mais connaissait bien le corps féminin. Il connaissait tout et si les autres avaient parfois ce mérite-là, c'était toujours un peu moins que lui. La vie manquait de sens et il connaissait chaque recoin de cette absurdité. Alors, se moquer. Le sarcasme de l'élitisme.