Les doigts courraient sur le piano avec délicatesse et technique, emplissant la pièce d'une Moonlight Sonata presque trop bien interprétée. La jolie blonde avait cette grâce naturelle qui captivait les regards dés lors qu'elle se mettait à jouer avec les notes, elle savait fasciner, intriguer son monde.. seulement cela ne marchait pas avec sa mère, toujours ivre, d'une jalousie maladive. « Si tu crois que ça va le ramener, tu te fourres le doigt dans l'oeil, chérie. » Le rire ou plutôt le gloussement qui s'est échappé de ses lèvres n'avait rien de tendre, il était l'expression de l'amertume et de la moquerie. « Tu n'es qu'une bâtarde à ses yeux. » Acidité. Roksyane ne réagissait cependant pas, imperturbable, accentuant les émotions transmises par la mélodie, doux remède à son coeur malmené. Elle ne pouvait qu'ignorer cette mère pour qui elle avait toute la compassion du monde mais qui s'amusait à la torturer pour tenter de faire disparaître la douleur qui étreignait son âme. Elle ne pouvait que composer avec, car malgré tout ce qu'elle pouvait ressentir sur l'instant, la jeune fille avait conscience du fait que sa génitrice était la dernière personne qu'il lui restait.

« Tu as terminé ? » Le ton était calme, doux. Inutile de sortir de ses gongs, l'adulte avait un taux d'alcool si important dans le sang que cela dégénèrerait. Ce n'était pas le moment et du haut de ses treize ans, l'adolescente le savait, tentait de se maîtriser comme elle le pouvait, sans cesser de jouer. Elle avait l'impression que si elle arrêtait, si les notes ne raisonnaient plus, alors elle cesserait tout bonnement de vivre tant les mots semblaient lui trancher la gorge. « Je termine quand j'en ai envie. J'suis chez moi. » Soupir. « Moi aussi.. » Lula n'était cependant pas d'accord avec ce fait et la réaction n'a pas tardé. Le verre fut posé sur le piano et les poignets de Roksye saisis avec force. Plus de mélodie. Juste le silence et la confrontation de deux prunelles vertes face à deux prunelles bleues. « Tu ne seras jamais chez toi dans la demeure des Wilkoff. » Le contact fut brusquement rompu, l'alcool récupéré. La blonde se retrouvait à nouveau seule dans le salon, entourée de ce silence qu'elle haïssait tant.

•••

« Pourquoi vous ne voulez pas de moi ? » Il la regardait avec insistance, cette fille qui venait de sonner à sa porte en déclarant être sa fille. Il était resté là, bloqué devant ces yeux bleus identiques aux siens, cette crinière blonde rappelant bien trop la sienne, et cette moue malheureuse qui faisait échos à sa douleur. « Tu as tellement.. tellement changé. » C'était peu dire, la dernière fois qu'il avait approché Roskyane, elle n'avait que quelques jours et ce fut pour annoncer à Lula qu'il la quittait, qu'il ne fallait plus qu'ils se voient. « Quel est ton nom, dis-moi ? » Elle a esquissé un sourire, espérant qu'il s'agissait là d'un début d'intérêt. « Roksyane. Roksyane Sasha Natasia Lipovsky. » Il s'est écarté sur le côté pour la laisser entrer, ce qu'elle a fait après un instant d'hésitation. « Elle t'as laissé mon nom, donc. » Elle a acquiescé d'un signe de tête sans ajouter un mot. « Pourquoi es-tu là ? » La réponse ne s'est pas faite attendre. « Vous êtes mon père. Et elle est décédée en ne me laissant pour seul héritage que des dettes. Puis vous êtes célèbre, votre musique vaut de l'or.. ce n'était pas dur de vous trouver.. » Il s'est installé sur le canapé, songeur. « Comment est-elle morte ? » Elle s'est demandée comment formuler cela, mais finalement elle a décidé qu'il valait mieux offrir la vérité toute crue. « Mélange alcool – médicaments. »

•••

« Sulpicia héritera car les papiers sont faits ainsi. Seul le mariage t'accordera une grande partie de l'argent et ce pour que j'ai la certitude que tu n'en uses pas à mauvais escient. » Elle fulminait intérieurement. Cette saleté de demi-soeur allait hériter parce qu'elle était l'aînée, parce qu'elle avait été plus désirée qu'elle et l'idée de devoir se poser, se caser pour ne plus risquer la ruine la rendait folle. « Qu'importe l'époux choisi ? » Il la regardait en silence, enfoncé dans son fauteuil, les traits fatigués et la mine triste. « Il suffira que tu l'aimes. Ce que ta soeur sera en droit de remettre en question, il te faudra alors le prouver. » Rage. Elle a serré les dents. « Combien de temps vous reste-t-il ? » Sourire forcé. « Je l'ignore Roksye. Trop peu de temps sans doute. »
Et dans la maladie de ce père qu'elle n'avait jamais vraiment eu, Roksyane découvrit le plaisir et les excès. Tous les étés, à chaque vacances, l'adolescente frôlait les abus en tout genre, flirtait avec sans gêne. A l'instar de sa mère, elle tomba amoureuse de la bouteille, des calmants. A l'instar de son père, elle se perdit dans la musique et les relations charnelles. Si elle devait trouver le prince charmant, si elle devait offrir sa liberté pour de l'argent, alors elle voulait en profiter au maximum avant de faire l'ultime choix, avant que Septimus ne rende son dernier souffle. Ainsi se mit-elle à développer deux facettes : la studieuse élève, brillante sorcière un peu effacée, un peu invisible, et la collectionneuse sans gêne au caractère bien trempé. Jusqu'à sa septième année, personne ne rencontra la seconde Roksyane, parce qu'elle tenait trop à sa réputation de sage fille.. et puis elle a rencontre un homme de trop.

« La mère de la débauche n'est pas la joie mais l'absence de joie. »
• Friedrich Nietzsche.

Elle était jeune mais vide. Elle s'était toujours sentie malaimée et choisir de se perdre dans les bras d'un jeune homme était pour elle une manière d'oublier, de se rassurer également. Oh elle a finit par se calmer, car la débauche fait mauvais genre, car cela ne dure qu'un temps. Cette attitude de petite garce incorrigible bravant tous les interdits ne lui venait sans doute pas de son côté sorcier, on a jamais vu pareille tenue dans cet univers, mais du côté moldu de sa mère qui, dépressive, lui avait toujours montré le mauvais exemple. Auprès d'un garçon autoritaire et jaloux elle s'était redressée, elle avait abandonné ses vices pour replonger corps et âme dans les études qui, pour elle, étaient sa seule véritable raison de vivre. Tout naturellement elle s'est ensuite dirigée vers la Médicomagie, désireuse d'éviter aux autres ce qu'elle-même avait vécu. Psychomage, voilà ce qu'elle rêvait de devenir, mais abandonnée par ce garçon qui se lassa vite de l'instabilité de la jeune femme et de son besoin constant de contact, elle avait renoué avec les souvenirs du passé. Retournant caresser les touches d'un piano, dans la salle sur demande où elle s'était glissée de nombreuses fois durant ces dernières années, elle savourait encore et toujours la douce mélodie de la Sonate au clair de lune. Les querelles de sang-purs – nés-moldus ne lui faisaient plus aucun effet, elle se contentait de chercher les faveurs des premiers pour aider au mieux les seconds, jouant son éternel double jeu. Roksyane avait après tout cette fâcheuse tendance à remonter sur scène pour un acte V qui ne voulait pas lui accorder la paix.