Les doigts dansaient avec un rythme effréné sur le piano, d'autres s'appuyaient avec virtuosité sur les cordes, tour à tour. A les voir, là, c'était un ballet. Le petiot jouait au piano, en fermant les yeux et en se balançant, comme si cela aurait contribué, d'une manière ou d'une autre, à son génie. L'autre, plus âgé, plus poilu, jouait du violon avec des yeux captivés comme on lui voyait rarement. Juillet. Fin d'année. Il fait chaud. Tout le monde : t-shirt, short, tongs. Pas Foster, encore moins Keane. Ils sont.. en costumes. C'est le spectacle de fin d'année de Foster et, après un an de supplices répétées et de menaces de destruction massive de sa chambre, Keane a enfin accepté d'y participer. De mauvaise grâce. Pourtant, des deux, celui qui se sent mieux, c'est lui. Celui qui, d'après les chuchotements, était à fond. Dans tout ce qu'il entreprend, Keane est à fond. Optimise, peut-être pas, courageux, non, pas du tout ; convaincu, oui. Si il avait une cause, il pourrait voler la lune. Ils s'arrêtent, à la musique se succède le silence, puis un bruit embêtant, qui fait sourire Foster tout comme son frère. Des applaudissements. Foster oublie sa fierté maladive et salue ; on aurait presque dit que Keane voulait embrasser le sol, sur ce coup. Il était fier de lui. Et quand la seconde ovation se tut, il ébouriffa les cheveux de son père comme l'aurait fait son père. Foster se serra contre son frère, avant de céder place à son camarade Hopkins à qui il tira la langue semblant dire : tu vas pas avoir un applaudissement après ça ! En effet, Hopkins stressait à mort. Il faisait un numéro de claquettes. Et pourtant, il n'était pas très doué au claquettes. Ça promettait. Mais Keane s'en fichait, Foster aussi après un petit temps de suffisance. Ils s'étreignirent, dansèrent, et se firent un high five en silence, alors que tout le monde leur jetait des regards style : ah la jeunesse, ça me rappelle le bon temps. Hew, mémé, envoie la pipe ! et qui donnait cinquante ans aux émetteurs de ces pensées. « T'as trop géré, Fos'. Sans rire. Surtout à ce moment là, t'sais, celui où tu bloques tout le temps. » Les yeux du cadet brillaient comme des phares une nuit de tempête. De beaux yeux bleus. Comme sa mère. Keane, quant à lui, avait hérité de la noirceur de son père, mais du sourire un peu canaille de sa génitrice. Foster avait un visage plus doux, tout en rondeur et sans ces prémices de barbe sur les joues. Foster n'aimait pas quand ça grattait. Mais ça faisait partie de son frère, tout comme cette odeur toute particulière, comme de l'herbe fraîchement coupée. Le secret de Keane était de se rouler dans l'herbe tout les matins. A parler vrai, le jeune homme passait de longues heures sur l'herbe, à lire. Lire quoi ? Des livres, des carnets de notes, des cahiers rapportant des voyages à l'autre bout du monde. Keane aurait bien aimé voyager. Mais il n'aurait jamais pu goûter les spécialités régionales et ça, ça ça l’agaçait. Il aurait rêvé, mettons, manger une pâtisserie arabe. Oh oui, il aurait rêvé. Keane était un grand rêveur. « Y'a un buffet, si tu veux. » Foster ne semblait pas enthousiaste, faisant la moue. Il regardait les cookies avec un air dubitatif, avant de se tourner vers le brun. « Ça te dérange pas ? » Keane éclata de rire. « Pourquoi ça me gênerait ? » Foster se jeta sur les cookies, laissant son frère rire. Jaune. Il riait jaune.

« Et l'école, ça va ? » Keane sourit. C'était un excellent menteur, tout en sourire et en air décontracté. Oui, jamais, jamais, sa mère aurait pu imaginer qu'il était si malheureux. Il leur envoyait régulièrement des lettres, deux toutes les semaines à leur demande. Il y joignait parfois des friandises pour son frère, ou encore des gadgets qu'il trouvait à Pré-au-Lard. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus accès. Là, il avait demandé à ces quelques.. amis ? d'y aller pour lui. Il payait double et il y avait cet air pitoyable dans ses prunelles noires.. Keane avait honte. « Oh oui ! Tout est parfait ! » Son entrain était si faux, sonnait si mal à ses oreilles. Mais pour celles de ses parents, il n'en était rien. Ils souriaient en entendant leur fils. Après tout, il avait toujours été heureux, joyeux de ses études. Soudain, comme ça, Skylar et Keane partirent dans une grande odyssée et débat sans fin : le professeur de sortilèges était-il maboul ? Keith soupira en débarrassant les quelques plats, tous finis et saucés sauf celui de Keane, à peine entamé. Il n'avait jamais faim. Il prit rapidement congé, le Keane. Il voyait bien qu'il ennuyait sévère son frère, qui triturait sa serviette d'un air triste. Keane s'apprêtait à monter à l'étage, pour préparer (déjà !) ses affaires pour la rentrée quand son cadet le héla : « Keane ! Je pourrais aller récupérer mes partoches dans ta chambre ? Tu te souviens, tu me les avais prises pour.. » « Le spectacle de fin d'année. Je me souviens. Là, je vais faire mes affaires et prendre mes protections pour le foot.. » Keane faisait du Quidditch (enfin plus, depuis quelques temps et à cause des nouvelles règles concernant les nés-moldus), du football, du baseball et parfois du cricket. Tout ça pour garder la forme, ne pas prendre trop de poids - comment aurait-il pu, de toutes manières... Le brun redescendit bien vite avec son ballon sous le bras, disparaissant par la porte d'entrée pour rejoindre ses amis. Foster le regardait partir d'un air mélancolique. Il trouvait son frère dix-mille fois mieux que lui. Plus beau, plus sympathique, plus drôle, plus talentueux, sorcier.. Et plus heureux. S'arrachant à la contemplation de son aîné, il finit par se lever avec flegme du canapé, repoussant le chien nommé Blondin pour monter dans la chambre du jeune sorcier. Littéralement, le plus jeune des Rivers adorait cette chambre. Située sous le toit bancal de la maison familiale, les murs étaient penchés et donnaient une impression de petitesse, alors qu'étaient largement casés une bibliothèque, une armoire, un lit et un bureau. Sur celui-ci, il y avait diverses enveloppes, une bourse peu garnie et la baguette magique de son frère. Un large sourire éclaira le visage morose de Foster, qui s'en saisit, laissant le bois aussi noir que la nuit épouser sa paume. « Wazam ! » hurla-t-il en visant une plume de paon qui ne bougea pas.. bah pas d'une plume. Il sourit néanmoins, tout fier qu'il était, et rajustait ses lunettes sur son nez. Ce qu'il aimait aussi dans la chambre de Keane, c'était les posters. Des trucs sorciers. Du Quidditch, celui des Harpies de Holyhead; une publicité pour un remède miracle contre les boutons d’acné (Foster songea à demander à son frère de lui en ramener) et d'autres choses. Il y en avait tant, des posters animés.. Il s'approcha du bureau et trouva des partitions, joliment enjolivées des mots : Spectacle de fin d'année Foster. L'écriture de son frère. Le blond sortit les feuilles, pensant que cela suffirait mais non. Les feuilles étaient raturées. Et ce n'était sûrement pas l’œuvre de Keane. Les mots espèce de bouse de dragon, sale né-moldu, ça t'a plu qu'on te casse ta baguette, pas vrai ?, ou t'as préféré le nez ? ressortaient parmi tant d'autres. Foster était fasciné par la rage et la haine que ces mots échappaient. Destinés à Keane. C'était marqué, en haut. A ce cher Keane Rivers. Inutile et moldu de profession.

Foster lâcha la feuille et farfouilla encore dans les papiers, sachant très bien que son frère ne reviendrait que dans deux heures, pas moins. Il trouva différents mots du même acabit, sur des feuilles de cours ou encore dans des carnets de note qui avaient l'air intimes. Cela ne semblait pas perturber Keane, qui continuait d'écrire à la suite malgré les larges traces indélébiles. Avec une intuition associée à une logique sans failles, il regarda de plus près la baguette de son sorcier de frère. On voyait un long fil d'or s'en échapper. Durant un certain temps, Keane s'était vanté avoir un cheveu blond de Vélane dans sa baguette plus noire que l'Enfer. Le long cheveu couleur blé allait s'en aller. Un morceau était presque cassé, de la baguette. Et, avec les quelques pièces de bronze qu'il y avait dans la bourse en cuir, Foster doutait que son frère puisse s'en racheter une autre. Il soupira. Il n'avait jamais douté des talents de menteur de son frère, mais à ce point.. Il trouva ses partitions et se faufila dans sa chambre, tel un voleur heureux d'avoir commis son larcin. Il enfila son manteau en grande vitesse et courut dans les empreintes de son frère, l'air aussi intelligent qu'un babouin à qui ont aurait tatoué « JE SAIS TOUT » sur le derrière. En parlant de derrière, Keane avait les lèvres aussi serrées que le derrière d'une poule constipée. « Bon, faut qu'on se reprenne. On réfléchit. Brooks, faut que t'attaques bon dieu, elle va pas te bouffer la balle ! Et toi, Hamson, inutile de rire, on dirait que tu l'évites. T'es censé l'attraper, ducon. OK ? OK. On se met en mode offensif là, hop hop hop ! » « KEAAAANNNNNEEEE ! » « J'reviens. Buvez, hein. » [/color]Il prit lui-même une gourde qu'il porta à ses lèvres en trottinant jusqu'à son frère, essoufflé d'avoir couru sur deux kilomètres. Il s'appuya à la barre bordant le terrain pour reprendre son souffle. « Bah alors, Fos' ? Faut courir un peu, tu sais ! Pour s'entraîner ! Tu prendras moins de temps et ça te fera moins mal aux poumons. T'es venu me suppo... » « Je sais tout, Keane. » Ça faisait très film dramatique-romantique, tout de même. Quand l'homme apprend qu'il se fait tromper. Et là, Keane devait tomber en sanglot et lui raconter la moindre aventure qu'il avait eu mais ils n'étaient pas dans un film dramatique-romantique. Ils étaient dans la vraie vie. Et la vraie vie était plus dure, plus ardue. Mais elle continuait. Elle continuait toujours. Keane ne cilla pas, ne perdit même pas son sourire. Son cil cilla légèrement, pas assez pour que Foster qui, le connaissait plus que tout le monde, ne le voie. « Pardooonnn ? J'ai pas le temps là, Foster, je dois aller jouer. » [/color]Son regard signifiait que, de un, ils en reparleraient. Et que, de deux, il ne fallait pas que les parents le sachent. Une lueur dangereux dans ce regard, que personne encore une fois lui connaissait. Mieux valait ne pas contrarier Keane, semblait dire ses yeux. Pourtant, il avait l'air si persécuté par ses camarades.. Foster préféra s'asseoir sur un banc et regarder le match plutôt que de contester ce regard brûlant. Finalement, ils n'en parlèrent jamais. Heureuse dispense pour ceux qui la reçoivent, la cruauté elle-même se lasse.
Ou pas.