Dans Le
Rouge et le Noir, Stendhal avait écrit :
« J’ai assez vécu pour voir que différence engendre haine. » Il avait quarante-sept ans. Moi, j’en ai tout juste dix-neuf, et ça fait bien longtemps que j’ai compris cette facette grotesque de l’homme. Des siècles auparavant, Aristote disait que l’homme était animal doué de raison. Je pense que raisonnable est bien loin d’être qualificatif adapté. Non, l’homme est un animal obéissant avant tout à son instinct. Noirs, Juifs, l’histoire a déjà démontré sa stupidité. Et le plus triste, c’est que l’homme n’apprend pas de ses erreurs.
Je suis née au cours de l’été 1992 d’un père avocat et d’une mère aide-soignante jusque là, ayant abandonné sa profession à ma naissance pour se charger de mon éducation. Le fait que je sois fille unique ne fit pas de moi la petite princesse de la maison. Ma famille était assez modeste et bien que je n’aie jamais eu l’impression de manquer de quoi que ce soit, je n’étais sans aucun doute pas la plus gâtée des petites filles d’Oxford. Très jeune, je me démarquai de par mon caractère mais également par mes goûts, profitant de mes journées loin des bancs de l’école pour lire un bon livre ou pour me promener seule dans les environs d’Oxford, cherchant les meilleurs endroits où exploiter une passion découverte très jeune auprès de mon oncle, photographe professionnel. Il est aujourd’hui l’une des seules personnes me rapprochant de ma famille maternelle, notamment depuis l’événement si banal que personne n’aurait pu imaginer qu’il puisse être responsable d’un changement aussi considérable.
Chère Miss Plitwick,
Nous avons le plaisir de vous informer que vous bénéficiez d'ores et déjà d'une inscription à Poudlard, Collège et Université de Sorcellerie et de Magie.
Une simple lettre bouleversait ma vie et celle de toute ma famille. Toutes les réactions face à une telle nouvelle sont dans la nature et j’eus malheureusement la chance d’en voir plusieurs exemples. Mes parents mirent un certain temps à comprendre que tout cela n’avait rien d’une plaisanterie. Mon père pris la chose le mieux du monde, se montrant fier de me voir sur le point de vivre une expérience dont il avait été privé. Parallèlement, les dialogues échangés avec ma mère devinrent de plus en plus courts jusqu’à ce qu’elles ne m’adressent plus que des regards en coin, méprisant chacune de mes actions, me faisant par la même occasion oublier qu’elle m’avait jadis aimé. Elle ne m’accompagna jamais jusqu’à la voie 9 ¾, priant sans aucun doute pour que son deuxième enfant ne la déçoive pas autant que je l’avais déçu. En effet, ma mère avait, quelques mois avant que je ne reçoive ma lettre de Poudlard, mis au monde une petite fille du nom d’Ayanna, ainsi elle reporta tous ses espoirs sur l’enfant qu’elle portait.
« Tout ça n’a rien à faire dans cette maison. C’est dangereux. Pour toi, pour moi, mais surtout pour Ayanna. »« De quoi parles-tu ? Tu as perdu la tête ? »« Je te retourne la question ! Ta gamine est folle, et tu ne vaux pas mieux si tu cautionnes ces idioties. Je la veux loin d’ici. »« C'est de TA FILLE que nous parlons ! »« Je sais. Aussi tôt que possible. »« … Très bien. Elle quitte cette maison, je pars avec elle. Et j’emmène Ayanna avant que tu ne te rendes compte qu’elle est peut-être comme Bella. »« Jamais. »Lorsque je revins à la fin de ma première année, ma situation familiale était tout ce qu’il y avait de plus chaotique. J’étais désormais l’ainée d’une petite sœur qui était devenue comme moi la fille d’un couple divorcé. Mon père acheta une maison près de Londres tandis que ma mère resta sur Oxford, obtenant la garde de ma petite sœur, même si j’aurais par tous les moyens, préféré que ce soit la victoire de mon père.
Même au sein de ma famille, ma différence avait éloigné de moi ceux sur qui j’avais pourtant cru toujours pu compter. A l’école, nous étions tous les mêmes. Rien n’était, selon moi, susceptible de créer des clans au sein de ce château qui nous accueillait tous à la manière d’une maison créatrice d’une très nombreuse famille. Pourtant, tous ces espoirs n’étaient que pure naïveté. A Poudlard comme ailleurs, la différence n’était pas source d’enrichissement. Non, mises à l’écart et déchirements étaient une nouvelle fois le résultat d’un concept pourtant inévitable.
Sur le chemin de l’adolescence, je m’armai face à une bataille que j’avais déjà connue. Effrayée par ma défaite du passé, je pris cependant pour mon compte les cicatrices des blessures provoquées par cette guerre que j’avais dû affronter dès mes onze ans. Une guerre contre le rejet, contre l’indifférence, pour une liberté et une reconnaissance que j’espérais mériter mais dont je ne pouvais m’empêcher de douter. Après tout, je n’étais ni assez bien pour mériter l’amour de ma mère, ni assez bien pour être considérée comme une sorcière à part entière au sein d’un monde où je croyais enfin trouver ma place. Etais-je assez bien pour exister ? Dramatique, n’est-ce pas ? De se poser ce genre de question alors que son enfance touche seulement à sa fin. Je n’avais jamais eu peur des bouleversements, ni même de ceux qui ne m’appréciaient pas ou encore de ceux qui s’en prenaient à plus petits qu’eux. J’aimais affronter des batailles bien trop grandes pour celle que j’étais. Pourtant, une once d’hésitation habitait mon esprit lorsque je pris enfin conscience qu’il était désormais temps de se battre pour avoir le droit d’être reconnue. A Poudlard, j’avais une famille. Des amis sur lesquels je savais pouvoir compter malgré une différence susceptible de déchirer nos liens durement tissés à tout jamais.
A Poudlard, je découvris une nouvelle forme de haine, celle qu’il n’y avait même pas lieu d’expliquer. Ma mère m’avait rejeté par peur, du moins c’était une des seules explications que j’avais été capable de formuler sans entendre mon cœur la traiter de folle à lier, mais la raison pour laquelle les sorciers nés de parents ne l’étant pas étaient rejetés n’avaient absolument aucun sens. Longtemps, je le cherchai, creusant avec acharnement à la recherche de la vérité, d’un raisonnement censé expliquant les raisons de ces agissements. Mais il n’y en avait pas. Y avait-il un espoir de changement ? Evidemment, je l’avais juré à moi-même, je l’avais juré à mes meilleurs amis, ceux qui, malgré leurs appartenances sorcières, ne m’avaient jamais considérée comme inférieure. Mais si cet espoir existait véritablement, il allait nous falloir le provoquer car sans agir, moi comme beaucoup d’autres n’aurions peut-être bientôt plus la chance d’appartenir à un monde au sein duquel nous étions pourtant nés.