Dans la vie d’un homme, il arrive un jour où l’on se demande ce que l’on a bien pu faire de son existence. Les années se sont écoulées comme sable à travers phalanges, tant et si bien qu’on a l’impression qu’hier, on avait encore quinze ans. Mais cet hier est bien loin désormais et l’aujourd’hui a perdu de ses couleurs d’antan.
Le regard est moins vif, la crinière plus terne et la peau se relâche sous le poids du temps qui passe.
Les prunelles vitreuses, l’épiderme jaunâtre, Xenophilius était plongé dans son verre de whisky Pur Feu. Un an. Un an jour pour jour que la vie et l’alcool avaient eu raison de lui. Pourtant, tout avait bien commencé pour le petit Crane.
Fils de rien, enfant de nulle part, il s’en était sorti brillamment à Poudlard, terminant dans les premiers de sa promotion, et ce malgré ses nombreuses heures de retenue. Ses talents de métamorphose lui avaient permis d’être repéré par le ministère qui avait fait de lui un aurore de qualité. S’en étaient suivis missions périlleuses, espionnage, filatures et duels ineffables.
Le rebelle de toujours, la tête dure et indomptable tournait le monde à la recherche d’adrénaline. Il lui fallait toujours plus de sensations, plus d’aventures à raconter. Il était infatigable et affamé de nouvelles histoires.
Dragons bulgares, gobelins asiatiques, vampires français, lycans américains, mages sombres transylvaniens, il les avait tous rencontrés. Certains avaient succombés à ses sorts puissants, d’autres lui avaient laissés des cicatrices. C’était donnant-donnant dans ce boulot, œil pour œil, dent pour dent.
Ce genre d’existence ne permet pas de construire une famille, Xenophilius aurait dû le savoir. A vrai dire, il en était conscient mais, une fois de plus, il avait décidé de défier les règles. Malheureusement, on ne gagne pas toujours et après tant de victoires, la perte se devait d’être lourde. Trop lourde.
C’était un soir de Juillet, en deux-mille-neuf. Le baroudeur avait terminé sa mission plus tôt que prévu et rentrait donc au bercail, espérant surprendre sa bien aimée, Lily Rose.
Autrefois, le simple fait de songer à ce nom le rendait ivre d’amour, aujourd’hui, ça le rendait ivre tout court.
Leur maison était modeste mais chaleureuse, tropicale. On y trouvait des objets de toutes les contrées, des babioles aux raretés inestimables.
Cela faisait près de deux mois qu’il était parti et il n’avait qu’une hâte : rentrer et serrer Lily contre son cœur.
Les cheveux longs et sales, la barbe mal rasée, les vêtements poisseux et troués, le sorcier passa le seuil de la porte d’entrée. D’emblée, une odeur pestilentielle lui prit la gorge. Ca sentait la viande crue avariée, le pourrissement, la mort.
Surpris, il retint la bile qui remontait son œsophage et avança jusqu’au salon. Là, ses pupilles se dilatèrent, son teint doré vira au vert et il vomit ses tripes, recouvrant une flaque de sang séché.
Les mains sur les genoux, le dos courbé, le souffle court, il posa son regard sur le corps pendu par les poignets au vieux lustre de cristal. Les yeux avaient été arrachés et la langue coupée. Les vêtements étaient lacérés, laissant apparaître des plaies où des larves se régalaient de chaire putréfiée. Quant au ventre du cadavre, il était entrailles béantes, intestins pendants. Le spectacle était indéfinissable. On avait tout bonnement torturé Lily jusqu’à la mort. Cela avait pu prendre plusieurs jours et elle était restée là, agonisant dans la douleur et le sang. A la vue de ces détails exécrables, l’aurore se remit à vomir de plus belle, pris de spasmes et de convulsions. Ses muscles étaient bandés, c’était comme si des milliers de crampes lui tordait le corps.
Il avait l’impression d’étouffer. Ca ne pouvait pas être vrai. C’était un cauchemar, une pensée morbide. Sa Lily, sa Rose, son Eternelle.
Il remarqua ensuite l’étrange appendice qui pendait parmi les intestins. Ca semblait à moitié humain mais pas assez pour être nommé en tant que tel. Un fœtus… Il avait été père. Père d’un mort. Certainement sa bien-aimée lui réservait-elle la surprise pour son retour.
A bout de force, soudain épuisé de vivre, l’homme déchu se laissa tomber dans le sang et les sucs gastriques. C’est à ce moment précis qu’une tristesse profonde et inconsolable le submergea et l’obligea à hurler son mal.
Tout se passa très vite. Les voisins accoururent, les médicomages, le ministère, ses collègues… Et la camisole.
Dès le lendemain matin, les articles fusèrent de toutes parts, même le Chicaneur s’empara de la nouvelle : Xenophilius Crane, l’aurore parmi les aurores, le courageux sans peur, l’aventurier inégalé, avait fait une crise de démence.
« Dans la nuit du trente-et-un août, le calme habituel de Godric’s Hollow a été troublé par un bien étrange spectacle. Xenophilius Crane, aurore depuis plus de dix ans, fidèle serviteur du gouvernement, a été trouvé en pleine crise de démence dans son salon. Bien vite, ses cris de forcené ont réveillé tout le quartier et alerté les autorités.
Un médicomage désireux de garder l’anonymat témoigne pour la Gazette du Sorcier : « Nous avons trouvé Mr Crane les yeux exorbités, la bouche écumante et le corps parcouru de spasmes. Il hurlait comme une chouette qu’on égorge, le regard fixé dans le vide. De toute ma carrière, je n’avais jamais vu ça ! On aurait dit qu’une scène horrible se déroulait sous ses yeux et qu’il était le seul à la voir. Bien entendu, nous avons essayé de l’aider. Cependant, lorsque nous nous sommes approchés pour qu’il cesse enfin de se lamenter, il nous a attaqués à coup de sortilèges. Trois de mes collègues ont été pétrifiés en l’espace d’un instant et il s’en est fallu de peu pour qu’il me touche à mon tour. Nous avons appelé des gens du Ministère pour qu’ils le calme… Si vous voulez mon avis, il a un peu trop forcé sur la bouteille… Les résultats de l’enquête nous le diront ! ».
« Forcer sur la bouteille », une expression bien connue par le baroudeur intrépide ! En effet, plusieurs plaintes ont été portées à l’encontre de l’intéressé qui, tenez-vous bien, s’est fait jeter de la Tête de Sanglier il y a une poignée de mois. Si même les trolls écervelés et alcooliques qui fréquentent ces lieux ont jugé bon d’en écarter l’aurore, c’est qu’il ne doit pas être un enfant de cœur ! De plus, on aurait retrouvé une substance illicite moldue (étrangement nommée « Marie-Jeanne ») aux vertus psychotropes dans ses armoires.
Ceux qui voyaient en X. Crane un héros plus blanc que neige doivent s’en mordre les doigts. Pire encore ! L’ex Gryffondor (qui doit se retourner dans sa tombe en voyant un tel représentant) menait une vie sulfureuse et avait souvent recourt aux soins de femmes peu recommandables.
Sa concubine, Lily Rose Pilgrim, semble avoir profité de l’absence de son ivrogne de petit ami pour mettre les voiles. Quant à notre amateur de whisky Pur Feu, il est actuellement interné à Sainte Mangouste tandis que les autorités essaient de comprendre ce qui a pu lui faire perdre la raison.
Suite au prochain épisode !
Rita Skeeter pour la Gazette du Sorcier. »Deux jours plus tard, on trouva l’objet ensorcelé qui avait provoqué tout ce grabuge : le vieux lustre en cristal du salon. Celui-ci avait été enchanté par un maléfice des plus complexes qui n’avait d’effet que sur le propriétaire du bien. L’enchantement agissait comme un épouvantard puissance dix. Impossible d’en venir à bout soi-même, il fallait une aide extérieure. Le coupable avait espéré rendre fou l’aurore au point qu’il se tue lui-même.
Comment l’apprit-on ? Tout simplement par la bouche de celui-ci, ou plutôt, de celle-ci. Lily Rose, de son vrai nom Nina Lachowski, mage noire polonaise en cavale, recherchée pour le meurtre de dix-sept moldus et l’empoisonnement du ministre de la magie polonais. Lorsqu’on l’arrêta, on découvrit qu’elle empruntait, grâce au polynectar, l’apparence d’une moldue anglaise depuis près d’un an et demi. Grâce à sa relation avec Crane, elle avait pu s’immiscer dans les affaires du ministère, prévoir les patrouilles des aurores, leurs missions et ainsi continuer à œuvrer sans problème.
Depuis dix-huit mois, Xenophilius était mené en bateau par la Belle qui avait, à plus d’une reprise, versé des philtres d’amour dans ses breuvages. Ceci expliquait la soudaine passion du libertin pour une seule et unique femme, ses attentions et son dévouement pour elle. Quelque chose de plutôt inhabituel chez le bougre amoureux des plaisirs de la chair.
***
Trois mois après l’incident, Sainte-Mangouste, cabinet du psychomage.« Ce que vous êtes en train de me dire, c’est que ma vie n’est qu’une immense mascarade depuis presque deux ans, c’est bien ça ? Qu’une meurtrière que je devais coffrer m’a roulé dans la bouse de dragon et que moi, comme un con, j’ai sauté les deux pieds dans le plat ?! Et bien merci docteur, vous enchantez ma journée ! », rétorqua l’ancien malade d’un ton sarcastique.
L’homme qui lui faisait face, un sorcier spécialisé dans le comportement humain, lui sourit et prit la parole d’un ton paternel :
« C’est bien Xenophilius, le philtre d’amour n’agit pratiquement plus et votre raison refait surface. Il y a quelques semaines d’ici, vous refusiez de croire que l’amour de votre vie n’était qu’une pure fiction, quels progrès ! »L’intéressé dévisagea son interlocuteur avec arrogance et soupira. Quelle galère ces séances ! Heureusement que son traitement touchait à sa fin… cela sans compter que Crane avait son propre remède qui était, de une, bien plus efficace et de deux, bien moins barbant. Un bon petit remontant, voilà la solution ! Il avait toujours été amateur d’alcool mais là, ce dernier était devenu son meilleur ami. Avec lui, pas de souci ! Il était toujours au rendez-vous, jamais en retard et il n’étalait pas de théories farfelues sur son état d’esprit. Bref, le compagnon idéal.
« Que le temps passe vite! Notre entretien touche à sa fin. Plus que deux séances et vous serez en mesure de repartir chez vous Mr Crane ! D’ailleurs, je ne comptais pas vous l’annoncez maintenant, mais au vu de vos résultats, vous avez bien droit à une récompense ! », enchaîna le médecin magique sur ce même ton exaspérant.
« Un caramel ? », marmonna le patient, cynique.
« Pardon ? »« Rien, rien, poursuivez… »« Oui, je disais donc, une récompense ! Etant donné vos diverses infractions qui ont entraîné votre renvoi du cabinet des aurores, nous vous avons trouvé un autre job ! »« Pardon ? », manqua de s’étrangler Xenophilius.
« Vous allez a-d-o-r-e-r ! … je vois que le suspense est insoutenable… je crache le morceau : à la rentrée prochaine, vous serez professeur de métamorphose à Poudlard ! », s’écria joyeusement le psychomage.
« Vous vous foutez de ma gueule ?! »Et c’est sur ces paroles au combien poétiques et distinguées que Crane vit sa vie d’aventurier s’effondrer sous son regard impuissant.
***
Oui, dans la vie d’un homme arrive un moment où l’on se demande ce que l’on a bien pu faire de son existence. On a laissé notre jeunesse dans les abysses des souvenirs et face à nous ne reste que le décompte fatal. Les jours sont des minutes, les minutes des secondes et on se rend compte qu’on a encore un tas de choses à faire en peu de temps.
Les « Si » et les « J’aurais dû » se joignent à la fête semant la frustration à tout-va.
Les prunelles vitreuses, l’épiderme jaunâtre, Xenophilius avala d’une traite son whisky et en recommanda un.
« Et bien mon bichon ! Tu en fais une tête ce soir ! Qu’est-ce qui te met dans cet état dis-moi ? », interrogea la serveuse.
« Demain, c’est la potence ! Je troque officiellement mon image de mâle viril pour celle d’un eunuque… »« Quoi, tu vas te marier ? », s’insurgea la pulpeuse pipelette.
« Pire… je vais apprendre à des gnomes pré pubères couverts de boutons purulents et incapables de fixer un préservatif sur une banane à transformer des verres à pieds en cigognes… »« Attends, j’ te suis pas là… tu vas devenir prof ? »« Prof, eunuque, coincé, psychorigide… appelle ça comme tu veux chérie. »« Et bien mon cochon, sur ce, je t’offre un verre ! T’auras bien besoin de ça… »