« On ne va pas se voiler la face, hein. Non, vraiment pas, ça serait réellement bête de partir sur de mauvaises bases, sur un mensonge. Mieux vaut savoir à quoi s’en tenir dès maintenant, mieux vaut être fixé dès à présent. Je n’ai aucune idée de qui vous êtes et beauté des rencontres incongrues, vous ne savez pas non plus qui je suis, hormis les trois quatre informations génériques qui sont inscrites là, sur le dossier en papier kraft que vous tenez entre vos mains manucurées. C’est grandiose, quand même, de parler comme ça, à des inconnus… Passons sur le fait que les gens dans la rue sont ce que vous voulez d’eux et concentrons nous sur la situation présente, déjà parce que nous ne sommes pas dans la rue et ensuite parce que vous avez sans doute mieux à faire... Ne nous voilons pas la face, disais-je. Quitte à passer pour un garçon un peu trop brusque, un peu trop franc -au point qu’il en devient cynique, mais encore une fois, le point n’est pas là- ; un peu trop audacieux aussi surement, quitte à sembler complètement ahuri, je ne vais pas passer par quatre chemins, tenter de noyer le poisson, faire diversion pour que mes fautes ne soient plus qu’un brumeux souvenirs dans le méli-mélo prompt au quiproquo que je suis entrain de vous servir.

Je suis un petit con.

Et entre nous, s’il n’y avait pas une alliance clinquante mais de mauvais goût à votre doigt, je pense que je tenterais quelque chose, mais après tout, je ne suis pas un briseur de ménage, juste un adolescent qui a commis un impair mineur, à peine répréhensible, si peu… bon, okay, j’arrête… »

Il souffla doucement, réprimant comme il le pouvait le sourire satisfait mais narquois qui menaçait, le démangeant franchement. Elle avait l’air si décontenancée par cette diatribe qu’elle en devenait encore plus adorable, cette jolie petite chose, assise de l’autre côté de son bureau, ses doigts fins soudain crispés autours du dossier dont l’onglet indiquait surement Marcus E.B. Von Wingarten et dont la couverture, il en était sûr, était sans doute barrée par une note cramoisie du genre « usage abusif de la magie par sorcier mineur et en présence de moldu » . Il posa à nouveau son regard sur l’alliance et remarqua qu’elle tentait de la cacher, repliant son doigt et faisant mine de froisser les documents qu’elle tenait dans les mains pour se donner un peu de contenance. Il ne pouvait pas la blâmer, après tout, de se retrouver prise de court. C’était exactement le but de la manœuvre. Avec un peu de chance, elle comprendrait que non content d’avoir agit parce qu’il n’avait pas le choix, il était loin d’être stupide et ne recommencerait pas. Et puis, par Merlin… il allait avoir 17 ans dans trois jours, cette foutue trace commençait sérieusement à le courir.

Le plus stupide dans l’histoire, c’est que s’il était resté à sa place, sur le banc qu’il avait occupé quand on l’avait attaqué, il n’aurait même pas eu suffisamment d’impact pour se retrouver dans de beaux draps. Au fil des années, il avait apprit où se trouvait la limite exacte du périmètre magique qui entourait la petite maison de la banlieue de Liverpool où habitait ses parents. Ce qu’il pouvait haïr Liverpool, sa pollution et son accent immonde… Les filles de Londres, Bath, Brighton et autres villes du Sud avaient beau trouver sensuel cette façon de parler digne des bas-fonds d’Oliver Twist, lui pensait juste ça moche et lourd. Il mettait d’ailleurs un point d’honneur à parler avec un accent le plus neutre possible, en aucun cas ne montrer qu’il venait de ce trou maudit, immense chantier navale sentant les eaux sales et la sueur, la fumée des usines. Le plus stupide dans l’histoire, c’est qu’il avait eut besoin de se lever pour être sûr de ne pas rater cet abruti de Malvolio Orson, pour être absolument certains que le sortilège de nœuds de langue allait prendre correctement. Première erreur : réagir aux provocations. Il n’était pas comme ça, d’ordinaire mais… entendre parler d’elle faisait toujours mal, surtout quand on s’appelle Ezra et qu’on a un ego sur-dimensionné, qu’on vient de se faire plaquer par un hibou de la première fille à qui on est fidèle et qu’on l’encaisse mal… Deuxième erreur : avoir bougé. Il aurait pu l’avoir depuis le fichu banc qui trônait dans le parc municipal, au bout du jardin familial. Troisième erreur : ne pas avoir attendue que la mémère moldue trainant son caddie et son yorkshire obèse n’ai passé son chemin. Elle avait tout vue, la gueuse et s’était enfuie en courant au monstre, avec ce même accent immonde que tous les autres, lui faisant bouffer ses ‘r’ et lui donnant un air d’ivrogne dégénérée.

Alors à présent, il était là, assis ou plutôt vautré sur une chaise en bois, attendant patiemment qu’on lui dise si oui ou non, on allait lui casser sa baguette. C’eut été bête, vraiment, car il y tenait à cette babiole et même si depuis l’accident, les vingt-huit centimètres de peuplier le desservaient un peu, il ne tenait pas à la donner pour destruction. Pas quand depuis près de six ans, c’était avec cet artefact et le ventricule de sphinge qu’il contenait que le jeune homme s’en sortait à Poudlard. Poudlard où il ne retournerait pas si cette charmante mais à présent terrifiante employée du ministère décidait qu’il valait mieux pour la communauté magique faire de lui un paria complet. Il sentit soudain un poids tomber dans son estomac et presque instinctivement, il se redressa un peu sur sa chaise. Tant qu’à faire, s’il pouvait faire bonne impression… Sauf que non, il avait lâché une diatribe gigantesque dans laquelle il dénigrait la gravité d’une action comme la sienne et pour couronner son cas déjà peu reluisant, il venait de faire des avances ouvertes à une femme mariée. Dans le genre stupide, il faisait fort… Sauf que c’était dans sa nature, il évoluait comme ça depuis des années, on l’avait élevé avec un esprit critique et aiguisé et dès son plus jeune âge, il avait été de ses gamins insupportables qui, même s’ils ont tord, n’en démorde pas et assume parfaitement. « Ne t’excuse jamais d’être ce que tu es » et bêtises du genre, en somme. Là, il était quand même dans une panade assez gluante, cependant, ça valait peut-être même un petit effort, un peu de compromis. Avant qu’il ne puisse tempérer ses propos, cependant, la jeune femme parla, ramenant de sa main baguée une mèche de cheveux auburn derrière son oreille. Il remarqua seulement à cet instant qu’elle avait déposé le dossier et qu’il avait vu juste : du rouge, des mots inscrits avec une détermination qui prouvait que les cas comme le sien devenaient réellement agaçants. Il pria mentalement pour ne pas servir d’exemple, écoutant à moitié :

« Écoutez, je vais passer sous silences la dernière partie, compte tenu de votre dossier scolaire mais… comprenez moi, je ne peux pas laisser filer un incident comme celui-ci. Je sais que ça vous semble injuste compte-tenu de votre âge, du statut de vos parents dans la communauté magique et des circonstances de la rixe mais le fait est qu’une moldue se trouvait là et qu’à partir de cet instant, nous sommes impliqués… »

Étrangement, sa voix n’était pas sérieuse et grave, ce n’était pas un sermon, juste une explication. C’était bizarre mais pas désagréable. Ezra ne supportait pas cette habitude qu’avaient les adultes de parler aux jeunes gens comme s’ils étaient tous atteint de déficiences mentales. Certes, certain trolls de sa promo méritaient bien qu’on leur gazouille des niaiseries comme on le fait au nourrisson mais la plupart des adolescents n’étaient pas comme ça. Les rabaisser ne servait à rien, sinon à se les mettre à dos ; mauvaise idée. A vrai dire, le changement lui plaisait tellement, il appréciait avec une telle sincérité que cette femme qu’il ne connaissait pas et qui aurait pu jouer les maîtresses d’école mécontente ne le fasse pas, se comporte comme si elle parlait avec un pair, qu’il se tut et la laissa terminer, conscient qu’elle avait surement une idée en tête, que ce suspens qu’elle laissait dans sa phrase, dans son discours, n’était pas une simple hésitation. Non, définitivement, cette femme n’était pas du genre à chercher ses mots, même s’il avait réussit à la prendre de court pendant quelques secondes. Peut-être tout simplement qu’elle ne s’était pas attendu à un discours aussi cohérent : d’ordinaire, il ne fallait pas se le cacher, les jeunes qui abusaient de leur pouvoir étaient des imbéciles brutaux et violents, impulsifs et dangereux, qui partaient en vrille et dégainaient la baguette quand les jurons venaient à manquer. Restait à savoir si c’était mieux de se retrouver face à un gosse prétentieux et trop sûr de lui…

« D’après ce que j’ai lu à votre propos, vous n’êtes pas mauvais en sortilège et en Défense Contre Les Forces du Mal… j’imagine que ça vous intéresse, comme matière. Et même si je m’avance, je me doute déjà que vous n’allez pas vous contentez de vos A.S.P.I.C, je me trompe ? »

Il manqua de froncer les sourcils, se demandant sincèrement quand ce rendez-vous au département de régulation était devenu une séance d’orientation. Qu’est-ce que son cursus scolaire et ses projets venait foutre dans l’histoire. Dubitatif, il répondit quand même, dardant sur son interlocutrice un regard vaguement méfiant.

« J’imagine, ouais… Je ne vois pas pourquoi m’arrêter, après tout je suis au chaud là bas, on m’entretient à ne rien faire ou presque, j’ai un lit ou dormir et peu de comptes à rendre, alors pourquoi pas faire des études supérieures, ça me sauvera quelques années avant de devoir aller pointer… »

C’était un mensonge, pur et simple. Il mentait souvent quand on en venait à parler de son avenir, de ses projets… C’était le meilleur moyen de ne pas se faire brimer, casser, écraser. Personne n’attendait rien de lui, trouvant déjà fabuleux qu’un glandeur pareil s’en tire avec des notes comme les siennes et cela lui convenait parfaitement. Après tout, cette liberté et ce manque de pression était beaucoup plus agréable, même si cela signifiait devoir encaisser le ton surprit et choqué de tout ceux qui ne croyaient pas en lui. Il n’attendait rien de personne, plus maintenant, les choses étaient claires et il préférait faire cavalier seul mais il ne pouvait nier qu’au fond, ce manque d’attache, d’attente… restait douloureux. Il aurait aimé avoir des parents concernés et fiers… à la place, il avait un couple d’étranger à qui il ressemblait vaguement. Esprit critique et force de caractère, certes, mais le manque de repère était assez évident aussi. Cela expliquait peut-être toutes les conneries qu’il enchainait. Ou bien, il était juste de ces perturbateurs nés et talentueux dans le domaine de la zizanie. Le résultat était le même.

« J’imagine qu’un peu d’occupation pour cet été ne sera pas de trop, alors… après tout, si vous êtes aussi désœuvré que vous voulez me le faire croire, passer votre mois d’Aout au ministère ne vous gênera pas… »

Elle afficha un petit sourire satisfait, faisant ressortir une fossette près de la commissure de ses lèvres. Il lui jeta un regard vaguement incrédule mais qui se mua en quelque chose de plus amusé, quoi qu’un peu vexé. Elle le trimballait depuis tout à l’heure, il n’aimait pas ça, être prit à son propre jeu avait tendance à le froisser correctement. Son plan était prêt depuis le début, elle attendait juste qu’il confirme ce qui devait être écrit en long, en large et en travers dans ce fichu dossier : sale gamin insupportable ayant réponse à tout et se pensant malin, à surveiller car prompt aux écarts. Ezra avait conscience d’être le stéréotype parfait du surdoué qui s’ignore, le môme qu’on pense retardé car il s’ennuie en classe et n’en fous pas une… Ca lui allait, on lui foutait la paix, de peur de le contrarié, de déclencher chez lui un relent d’anarchisme vindicatif qui le pousserait à tout envoyer en l’air.

« J’ai bien comprit ? Vous me filer un stage ici pour me punir de ma faute ? C’est pire qu’une tape sur les doigts, ça… »

Une petite voix dans sa tête lui ordonna d’arrêter immédiatement ce genre de commentaire. Il allait s’attirer encore plus d’ennuis que ce qu’il avait su le faire au cours de sa courte vie. Ce n’était pas le moment de jouer de sarcasme, de dire le verbe punir avec un dédain pur, un dégout presque manifeste. A vrai dire, il allait surement s’en tirer pas mal, autant faire en sorte que ça soit productif, aller avec le mouvement. Il n’était pas franchement fan de cette passivité mais au point où il en était…

« Prenez ça comme des travaux d’intérêts généraux. Histoire de comprendre pourquoi on ne peut pas vous laissez jeter des sorts à tout va quand bon vous semble, je pense qu’il sera parfait que vous suiviez les employés du ministère chargés de réparer ce genre d’incident… »

Elle lui jeta un regard qu’il manqua de ne pas pouvoir soutenir. Le message était clair, plus que ça même. Elle lui signifiait qu’il avait été repéré, autant pour ses capacités que pour ses conneries. Cette manœuvre, c’était juste une tactique habile pour le responsabilisé, tenter du moins. En fait, qu’il agresse l’autre imbécile avait été une aubaine, l’excuse parfaite pour le coller dans les pattes des organisations qui avaient besoin de sorciers comme lui, c'est-à-dire avec un tant soit peu de jugeote. Il ne savait pas s’il devait se sentir prit au piège ou bien s’il devait simplement être flatté. C’était un peu comme si, soudain, on attendait des résultats de sa part et il n’était pas certain de vouloir de cette pression. Vivre en parfait petit irresponsable, insouciant et totalement libre lui avait bien plu… D’une voix basse et neutre, il demanda alors :

« Il se passe quoi si je refuse ? »

Un léger rire, cristallin et délicat, secoua la jeune femme alors qu’elle ouvrait le dossier, cherchant des yeux quelques choses. Il reconnut de loin ce qu’elle avait voulu vérifier : résultats de B.U.S.E. Le rire s’éteignit et d’une voix douce mais pourtant sans appel, elle répondit simplement :

« Je crois que vous n’avez pas vraiment le choix… Et puis après tout, ce n’est pas comme si on vous forçait réellement… »

Pour appuyer ses dires, elle tourna rapidement les feuilles qui se trouvaient devant elle, faisant glisser le parchemin sur l’appui main en cuir sombre qui recouvrait le bureau. Presque immédiatement, elle pointa une ligne et il n’eut pas besoin de lire pour savoir ce qu’elle lui montrait. Il ne se souvenait que trop bien avoir remplit ce fichu formulaire. Intention d’orientation, ou bêtise du même style… Cela semblait loin, ça devait bien faire un an et demi… à l’époque, il avait simplement écrit le premier boulot qui lui passait par la tête, le plus pédant possible, pour que ça tranche au possible avec son image de flemmard invétéré et insolent. Cela datait d’avant les examens, avant qu’il ne puisse plus cacher qu’il s’intéressait à ses cours… Les notes avaient été publiés et les choses s’étaient compliquées pour lui. Alors, petit à petit, il avait commencé à se demander si l’instinct n’avait pas joué un rôle dans cette histoire, s’il n’était pas en effet taillé pour devenir Auror. Et avec ses résultats, même si clairement les potions n’étaient pas son truc, il devenait un défi pour les professeurs, une nouveauté, un phénomène qui les surprenaient… Ils avaient quand même passé cinq ans à traité d’âne un élève ayant corrigé un de ses examinateurs de Sortilège et s’avérant avoir raison au final…

Alors, assit là, sur cette chaise inconfortable, dans un département vide et silencieux du Ministère de la Magie, il avait baissé les yeux, portant son attention de la jolie employée à la poignée de lettres qu’elle pointait. Auror…

« Je me doute bien que commencer avec les Oubliators peut sembler étrange mais décemment, on ne peut pas vous coller au milieu du cercle pour lequel vous aspirez, trop dangereux, vous n’êtes pas formé… risquez la vie d’un auror parce qu’il devra sauvez celle d’un adolescent se trouvant au milieu d’un combat, ce n’est pas vraiment la politique de la maison, vous pouvez le comprendre. »

Il se contenta d’acquiescer, ayant un peu de mal à croire à ce qu’elle lui racontait. C’était… comme tombé du ciel, inespéré, inattendu et surtout : réellement bon. Valorisant aussi. Sans doute très mauvais pour son égo et sa capacité à produire des coups bas, parce qu’après tout, on le récompensait pour avoir refait le portrait d’un de ses camarades de classe, mais là, il ne s’en rendait même pas compte. Du moins si, un sentiment de fierté était entrain de monter doucement en lui, irradiant, brulant. Il ne pu retenir plus longtemps un sourire, cette putain d’expression qui montrait qu’en fin de compte, il se préoccupait bien de quelque chose, il n’était pas totalement blasé par le monde qui l’entourait, et alors qu’il réalisait en silence ce que ce rendez-vous impliquait, il la regarda tirer un petit morceau de parchemin et une plume. Elle griffonna rapidement quelque chose puis le lui tendit.

« Vous commencerez Lundi, n’ébruitez pas trop ce genre d’information. Filez maintenant, j’ai quelqu’un d’autre à voir et surtout : tentez d’être discret la prochaine fois, vous avez terrorisée une petite vieille… »

Elle lui adressa un vague signe de tête et rangea le dossier portant le nom d’Ezra. Ce dernier se leva, un peu sonné, un peu hébété et sans demander son reste, il sortit du bureau de la jeune femme, traversant la salle d’attente attenante avant de baisser les yeux sur le parchemin qu’elle lui avait donné et qu’il avait attrapé sans vraiment y réfléchir.

Lundi 30 Juillet 2007, vous serez attendu à 9h au bureau E465

Il écarquilla les yeux en lisant la suite et son sourire autrefois satisfait se transforma en rictus machiavélique mais profondément fier.

Et sans cette bague, vous auriez en effet eu votre chance.
Mielyne F. Johnstone

Il froissa la note et la fourra dans sa poche. Ce jeudi 26 juillet avec mal commencé, inquiétude et mauvaise foi avaient été de la partie mais à l’évidence, les choses tournaient pour le mieux. Non pas qu’il en eut douté, en fait… Quoi qu’un peu, mais d’une manière générale, il trouvait toujours un moyen quelconque pour se tirer d’affaire. Et sauvez l’honneur. Les quelques mots dans sa poche le prouvait. Dimanche, il fêterait son anniversaire, serait enfin majeur… 17 ans… 17 ans et un boulot au ministère, presque dans la branche qui le tentait, en plus d’un ticket monumentale avec une adorable petite brunette, mariée mais suffisamment sauvage pour peut-être s’en foutre.

Définitivement, la journée tournait bien.