En cette matinée du mois d’aout, les rayons du soleil percèrent à travers la fenêtre, éclairant la chambre d’un doux halo. Spencer se retourna dans son lit, la tête enfoncée dans son oreiller. Elle voulait rester dans la pénombre, et dormir, dormir encore. C’était un mauvais rêve. Toute la journée précédente n’avait été qu’un abominable cauchemard. Elle tentait tant bien que mal de s’en convaincre, mais si elle refusait réellement d’ouvrir les yeux, c’est parce qu’elle ne voulait pas s’apercevoir que c’était la réalité. Un fantôme entra dans sa chambre. Sa mère, Kaitlyn, les yeux cernés, les cheveux défaits, à moitié emmitouflée dans le vieux peignoir de Clyde. Elle s’assit sur le lit de sa fille sans un bruit, comme elle avait dû le faire avec Juliet et comme elle irait le faire ensuite avec Christa.

« Il est l’heure Spencer. »

Sa voix sembla provenir d’un autre monde tandis que Spence ouvrait difficilement les yeux. Le fait de voir sa chambre, toujours identique depuis des années, sa commode en bois ancien, ses murs pourpres, sa table de nuit où s’entassaient des livres, commencés, finis, en cours etc. Tout cela la ramena définitivement dans le monde réel. Prise de conscience. Hier, son père était mort.

C’était Christa qui l’avait trouvé sans vie. Pendant que Spencer était sur le chemin de traverse avec Juliet et Kaitlyn. Juliet avait besoin de nouveaux livres. Spencer récupérait toujours ceux de Christa, qui elle-même les tenait de Juliet. Certains s’en plaindraient. Pas Spencer. Elle adorait posséder les livres de ses sœurs, car sur certaines pages, elle y retrouvait des dessins, par Christa, ou des commentaires sans vraies relations avec le cours, par Juliet. Elle était cependant sortie accompagner sa mère et sa sœur. Spencer n’avait pas beaucoup d’amis, ce qui ne l’empêchait pas de vouloir tout savoir sur la vie de tout le monde, de connaître tout le monde. Quoi de mieux que le chemin de traverse juste avant la rentrée des classes pour laisser traîner ses yeux et ses oreilles ? Elle n’imaginait pas à ce moment-là. Elle ne s’attendait vraiment pas à ce qu’elle allait découvrir quelques heures plus tard. Elle avait entendu dire que lors de catastrophe, on sentait une atmosphère tendue flotter dans l’air. Soit c’était faux, soit elle était à des années lumières d’être intuitive. Spencer était superstitieuse, peut-être pas dans les règles, certes. Pour elle, tout pouvait être interprété comme un signe. Bon ou mauvais, selon ce qui l’arrangeait. Ce n’était jamais de sa faute à elle. C’était plutôt une force supérieure qui l’avait obligée à vider son compte bancaire pour s’acheter des nouvelles robes. Mais ce jour là, aucun signe, aucun présage. Rien qui laissait présumer l’horreur qui se tramait.

Elle ne voulait pas y repenser. Revoir ce corps sur le sol, tel un pantin désarticulé, baignant dans une mare rouge, c’était trop pour elle. Mais tout la ramenait toujours vers cette image. Elle voulut se concentrer sur ses sœurs. Ses deux grandes sœurs, les prunelles de ses yeux, celles pour qui elle donnerait sa vie sans la moindre hésitation. Alors aussitôt le visage de Christa s’imposait à elle. Sa peau encore plus pâle qu’à l’ordinaire, ses yeux vitreux, bouffés par les larmes, et cette expression blême, sans vie, sur son visage à tel point qu’elle avait l’air… morte. Spencer trouvait cela insupportable, inconcevable, que ce soit Christa qui ai eu à subir ça toute seule. Elle qui était si fragile. Pas dans un sens faible, sa fragilité était sa force, cela se reflétait dans tout ce qu’elle faisait. Spencer admirait sa sœur pour cela. Elle savait s’exprimer de tellement de façon. Le chant, la musique, la peinture, l’écriture. Mais elle se laissait probablement beaucoup plus atteindre par les choses de la vie. Juliet semblait beaucoup plus forte, aux yeux de Spencer, elle pouvait tout surmonter, endurer n’importe qu’elle épreuve, elle s’en sortirait quoi qu’il arrive. Spence quant à elle, était incapable de se débrouiller sans ses sœurs. Elle en avait conscience, mais ne voulait en aucun cas s’émanciper, ça l’éloigenrait trop d’elles. De plus, elles entraient à présent dans une période où elles allaient devoir se serrer les coudes, rester unies, et faire face. Probablement un des moments les plus dur de leurs vies passées et futures. Elles n’avaient plus de père.

C’est Juliet qui parla à l’enterrement de Clyde. Son ton était juste et solennel, et Spencer pensa qu’elle n’aurait jamais réussi à garder son calme comme l’avait fait sa sœur. Ni à rester aussi forte que Christa, si elle avait elle-même trouvé le corps, étant seule à la maison. Christa et Juliet, deux petits modèles de perfection aux yeux de leur petite sœur. Jules l’intrépide et Christa la raisonnable, la réfléchie. Spence était l’opposé de Christa. Elle n’était pas raisonnable, elle n’aimait pas aller en cours, elle n’aimait pas apprendre. De toute façon, elle ne retenait que ce qui l’intéressait c’est-à-dire un million de choses sans grand rapport avec le programme scolaire de Poudlard. Ses notes n’avaient jamais été catastrophiques, sans pour autant être brillantes. Elle se maintenait à la moyenne. Juste assez pour passer dans l’année supérieure. Clyde lui avait souvent répété « Avec ta mémoire, tes capacités, si tu voulais tu pourrais. » Mais selon Spence, vouloir ne suffit pas. Il faut une motivation, et elle n’en avait pas. Elle aimerait que les « O » tombent du ciel sans qu’elle n’ait rien à faire. Vous avez dit feignante ? Oui, car même si elle adorait vivre à mille à l’heure, elle trouvait les cours ennuyeux. Mais elle aimait penser qu’en grandissant elle gagnerait en maturité et qu’elle finirait par trouver ça interessant. Ses sœurs pourraient être fière d’elle alors. Ses sœurs. Elle avait du mal à comprendre comment les même parents avaient pu élever trois filles aussi différentes. Pourtant ils les avaient toujours toutes traitées de la même manière. Certes, Spence admettait qu’elle avait du recevoir quelques traitements de faveurs étant la plus jeune. Elle entendait encore la voix douce de sa mère dire à Jules ou Christa « Fais attention à Spencer, elle est encore petite. » Parfois ce titre l’agaçait, mais elle ne voulait surtout pas changer l’ordre établit. Elle était la plus petite, celle dont tout le monde prenait soin, celle qui faisait toutes les bêtises que ses sœurs n’avaient pas fait avant elle. Après tout à 16 ans, on est en plein dans l’adolescence, elle estimait avoir le droit de se rebeller un peu contre le système scolaire en séchant par ci par là, en embobinant quelques professeurs avec ses yeux bleu, ses longs cils et son sourire de petite fille « Oh ! Il y avait un devoir à faire ? Je suis confuse, j’ai complètement oublié… » Une chipie. Maligne, rancunière, râleuse, boudeuse, têtue. Enfin, une belle emmerdeuse. La vraie petite dernière. Elle ne pouvait plus jouer ce rôle désormais. Elle ne pouvait plus être celle qu’on protège, car elles avaient toutes besoin d’être protégées.